88. Dialogue à propos de la « LA CONNAISSANCE DE L'ABSOLU »

-J’aimerais que tu commentes ce que tu as écrit à propos de l’Absolu. Je te cite : « La connaissance de l'Absolu est à la portée de la main. La main de l'innocence. Nous avons été formés à connaître le monde au moyen du langage et de la pensée, et naturellement, nous nous tournons vers la suprême connaissance, l'Absolu, comme s'il s'agissait d'acquérir un savoir. Mais l'Absolu n'est nullement un savoir ; il transcende à la fois le langage et la pensée. Il est insaisissable. Nous devrons apprendre de nouvelles règles pour approcher l'Absolu. » C'est tellement incroyable... On nous a toujours appris que c'est sacrilège de vouloir être Dieu. -Heureusement, nous découvrons très vite que Absolu signifie non-séparé. Non-séparé de nous, du monde, bref, de tout. Le grand tout, l'Un. Donc, nous le sommes déjà totalement ; nous ne saurions l'être davantage. -Révélation! Je suis l'Absolu! -"Tu" n'es pas l'Absolu ; ce n'est pas une personne... personne ne peut être l'Absolu, la vague ne peut prétendre couvrir l'océan. -Ne suis-je pas aussi réel que l'océan? -Seul l'océan est réel, les vagues sont irréelles. Autrement dit, l’océan peut exister sans vagues, alors que les vagues ne peuvent exister sans océan. L’irréel est une onde sur le réel, une onde transitoire. -Veux-tu dire que si l'océan est là, nous, en tant que personnes humaines, disparaissons? -Oui. -C'est affreux! je veux rester présent pour connaître Dieu. Sinon, quel est l'intérêt d'une telle quête? -Tu penses que c'est affreux comme beaucoup d'autres chercheurs de vérité que l'on voit faire volte-face devant cette incontournable condition d'accès: disparaître. La chenille doit disparaître pour que le papillon apparaisse. Cela dit, nous pouvons prendre conscience de l’océan sans que les vagues disparaissent de la surface de l’océan. -Si nous sommes noyés dans l'Absolu, comment se fait-il que la plupart d'entre nous n'ait pas conscience d'y être? Qu'au contraire, nous agissions comme des êtres éloignés de leur nature profonde, que nous soyons capables, tous les jours, d'être parfaitement sauvages, meurtriers, et fiers à la fois? Cette question fondamentale m'interpelle. Est-ce l'illusion cosmique, la maya des hindous, c'est-à-dire une cause à l'extérieur de nous, la source de l'oubli de notre nature profonde, ou bien n'est-ce pas nous-mêmes, tous seuls, qui voilons inconsciemment, involontairement cette glorieuse réalité foncière? -Nous seuls cachons cet Unité fondamentale par une production de notre mental individuel, à l'instar de nuages qui occultent le ciel bleu. Nous sommes les auteurs uniques de la noyade dans le Relatif, le multiple, le différencié, et donc les seuls à pouvoir défaire le charme qui nous montre des vagues au lieu de l'océan. -Maintenant, pourquoi l’océan peut-il faire croire à l’existence des vagues? Comment la vague tissée d’océan peut-elle ignorer la nature de l’eau, n’est-ce pas, c’est un peu cela la question? -Cette question est effectivement incontournable, fondamentale. Et la réponse est folle: il n’y a jamais eu de vagues pour l’océan, voyez-vous, aucun second, rien que Lui... Si bien que nous pouvons questionner en tant que vague, mais la réponse, sur l’autre rive, rend impossible toute approche intellectuelle: une seule porte, l’absolu. Une seule réponse: l’absence de questionneur. Tel une poupée de sel rentrant dans l’océan nous fondons dès que nous nous y baignons. -La tradition juive, la Kabbale, dit que Dieu a fait une sorte de trou dans son corps, d’où il s’est absenté pour laisser place à l’univers et aux hommes. Toute réponse dans le relatif éloigne de l’éveil. C’est une façon d’entériner la création, la dualité, comme une chose en soi. Alors que l’univers est précisément tout sauf « en soi » . Il est en Soi. Dans le Réel. Regardez bien ceci, c’est encore une brèche dans la pensée.

-Par où commencer cette quête? Y a-t-il des moyens pour arracher les nuages devant le soleil? -Faut-il que nous jouions, à l'intérieur du rêve, à nous éveiller? Ne faut-il pas au contraire partir du début : nous sommes l'Absolu, puisque nous ne pouvons pas ne pas l'être! Il nous faut arrêter de faire comme si nous ne l'étions pas ; comme si nous étions des êtres humains sujets à la mort... Quand le rêve prend fin, nous ne nous sommes jamais endormis... non seulement, il n'y a jamais eu de rêve, mais encore moins de "nous". La transparence infinie. -Attends! maintenant, tu veux nous dire que la mort n'existerait plus? -Je veux dire si tout est un, es-tu encore un corps particulier? Es-tu jamais né? Qui donc est né, et qui meurt? Vois-tu l'enjeu de tout cela? -Non, je suis complètement perdu. Reviens en arrière. -Comment sais-tu que tu es ce corps? -Quand je me regarde le matin dans la glace... enfin, je suis sûr que je suis ce visage-là ; pourquoi en serait-il autrement? Quand je lève la main, c'est bien moi qui lève la main, non? -Tu lèves la main par réaction, dans une chaîne d'interactions, dont le début et la fin ne t'appartiennent souvent même pas. Mais tu t'identifies au mouvement immédiat, sans voir les tenants et les aboutissants. La plupart des mouvements internes se font involontairement. « Tu » ne lèves pas la main; c’est ton corps qui lève la main, est-ce que tu saisis la nuance? Regarde par exemple ta respiration. Est-ce toi qui respires? -Bien sûr! -Observe encore. Si tu peux respirer volontairement, n'est-ce pas en fait involontairement que "cela" respire dans ta poitrine? -Mais c'est dans mon corps que cela ce passe... C'est forcément moi qui respire! -Ne te laisse pas abuser par l'habitude de tes pensées. Essaie de découvrir ce qui se passe comme si c'était la première fois que tu voyais un homme respirer. Il faut que tu remettes en question tout ce que tu crois connaître, car ton savoir est de seconde main. Vois par toi-même. Ne laisse personne penser ou dire pour toi. Demande-toi pourquoi ce corps est tien ; cette respiration est-elle vraiment tienne? -Qu’est-ce que la réalité du monde? -Qui t'a dit: "le monde est réel ? Le monde est objectif ?" -Bien sûr le monde est réel! -Ta certitude est basée sur quoi? Réfléchis bien. Prends ton temps. Est-ce que vraiment, tu peux dire de ton fait que le monde est réel? -Ce sont les scientifiques qui le disent. Même quand on ferme les yeux, le monde continue d'exister... Je sais bien que certains philosophes des temps passés affirmaient que le monde est illusoire, comme s'il n'existait que dans notre pensée, qu'il disparaissait quand nous cessions de le penser... Mais nous devons mettre en doute une telle affirmation ; les scientifiques ont montré aujourd'hui que la matière existe indépendamment de la conscience de l'observateur individuel. Quant à la conscience impersonnelle comment démontrer un jour qu’elle est séparée de la matière? Cela ne se peut. Elle est la matière... -Les scientifiques ne disent pas toujours que les fondements théoriques de la Science sont des postulats. Ils postulent de la réalité: On va dire que les particules élémentaires, briques fondamentales qui cimentent l'univers sont "réelles". Mais le comportement de ces particules est plus proche de l'illusion que du vrai. L'univers n'est peut-être que le rêve, la subjectivité d'une seule conscience... Cela n'est pas contredit par la science. Au contraire, ne touches-tu pas du doigt que sans autre, le réel est indéterminable? Il faut deux choses, dont l'une est qualifiée de réelle et une autre en comparaison de fausse. Toi, sans référence à quiconque, peux-tu dire si l'univers est une réalité objective? -Non. Je ne sais pas. Après tout, dans mes rêves, les choses semblent bien réelles...(silence) Ne vais-je pas devenir fou, si je ne sais plus ce qui est réel, ce qu'est mon corps ; je me sens chanceler devant une telle perspective... -Tu as raison, la folie côtoie l'extase. On a dit que la différence entre le schizophrène et le saint est la suivante : le fou et le sage sont dans le même océan impersonnel, mais tandis que le sage nage en paix, le fou se noie angoissé. Au-delà de cette image, précisons les choses: le changement de statut intérieur que connaît l'éveillé défit la description. Il est devenu sans référence, inconnaissable, même pour lui-même. Absolu ne se connaît pas lui-même ; comment pourrait-il le faire? Il faut être deux pour connaître, un sujet et un objet... Il faut être séparé de ce que l'on voit. Quand on a les yeux collés sur l'image, on ne voit plus rien. L'oeil ne peut se voir lui-même. Tout cela est essentiel pour comprendre l'inaccessibilité du Principe Absolu. On ne peut que l'être, impersonnellement ; on ne peut jamais le voir, le sentir... Cela doit faire cesser les tentatives folles de le saisir, le comprendre, l'atteindre. Nous sommes déjà totalement fondus dans le lac absolu, alors ne rêvons plus d'être coupé de lui.

89. APPEL DU COEUR

Je suis amoureux de Dieu. Je ne peux vous le cacher plus longtemps. Et cet amour total, dictatorial, naquit, comme dans nombreuses histoires d'amour, au premier regard. Dès que je vis Dieu, (si l'on peut dire, car cette expérience n'est pas dans la relation sujet-objet, ou dans une vision; c'est dans l'être que cela se passe), mon coeur s'embrasa et ne s'est pas éteint depuis vingt ans. Mais les pensées de la logique sont venue pour perturber l'union avec le Bien-Aimé. La tête a dit:"Rappelle-toi cette folle de Dieu que tu connaissais dans ton enfance... comme elle te semblait malade. Fais attention, tu risques de devenir comme elle!" Et mille pensées sont passées dans mon esprit, pour repousser l'expérience de l'amour. Au nom de quoi? De la normalité sociale. La pression du groupe. Seulement, voilà, l'amour est plus fort que tout. Toutes les critiques sont épuisées maintenant. Et bien que l'intellect ait atteint ses limites, devant l'impossibilité d'aller plus loin, cette saisie par l'Unité de notre être, notre coeur n'était pas satisfait. Il voulait l'étreinte. D'accord. Je ne résiste plus. Mon affectivité est noyée en Dieu, exclusivement, Le voyant partout et en chacun, comme un visage exprimant l’Unique. Comment faire des séparations dans l'Unité? Impossible. C'est le prix de Son Amour.

90. IL AVAIT RETROUVÉ LE CHEMIN DE LA MÉDITATION...

Il avait retrouvé le chemin de la méditation et avec lui la bénédiction d'exister. Depuis quelques mois, le souffle pur et impersonnel avait eu beaucoup de mal à se faire sentir, au-delà de la carapace du mental; carapace de certitude, d'images de soi, de volonté, d'intentions variées, de désirs et de peurs. Quand le mental s'arrête, c'est une pure bénédiction. Enfin l'espace a un sens, la liberté est là. L'inintention naît, et avec elle le bonheur de vivre dans la spontanéité. Heureusement, la dislocation intérieure est douloureuse; sinon nous pourrions rester enchevêtrés dans le conditionnement sans nous en rendre compte. Le centrage intérieur donne une sensation de chaleur interne, comme si les cellules communiquent entr'elles. La plénitude d'un cocon qui rappelle le sommeil profond, un peu comme si nous étions profondément endormis, et en même temps bien éveillés. Une douce présence nous enveloppe. Une qualité de l'énergie immobile. Il voulait aller au-delà du mental, ignorant que notre énergie basique, fondamentale, vitale, se situe en-deçà. Flottant en surface de l’esprit, la douce profondeur fuit. Involontairement, il avait quitté le berceau de la non-dualité. La souffrance vînt lui rappeler la condition de l'humain qui refuse le silence et l'incommensurable de sa nature. Finalement, il lâcha les prétentieuses perspectives poursuivies, pour se plonger de nouveau dans sa source. Quand les tribulations de l'être humain sont plutôt neutres ou heureuses, il ne fait jamais l'effort d'échapper au conditionnement. Il faut vraiment la souffrance pour le réveiller, tel un rustre animal que le pic du berger fait sortir de son rêve illusoire. Tout au long de ces mois, il n'avait pas pu refermer le gouffre de néant qu'il se savait être. Forcément, les chocs de la vie ne pouvaient pas l'enferrer; seulement lui faire un peu peur. Très vite, ce visage sans forme et sans limite, tel un cri de silence, s'était rappelé à lui. Les quelques photos qu'il avait laissées s'accumuler en soi furent soufflées par le vent de l’absence. Qui suis-je? Personne ne répondit... Quand il entendit parler d'hypnose, la force vibra en lui. Elle reconnaissait une de ses manifestations. Le sujet hypnotisé descend sans le savoir ni le vouloir dans son for intérieur, d'où il est possible de contrôler ou de produire des phénomènes bizarres qui témoignent du pouvoir immense de notre intériorité. Le contrôle sur le corps en est un exemple. Se manifeste ce que le sujet croit se manifester. Mais la grande distorsion réside dans le fait que cette intériorité est coupée du réel. C'est un état de rêve semi-éveillé, guidé par la suggestion. La conscience de l'unité est une ouverture de cette force intérieure au réel, comme un embrassement total et sans condition. Voici la différence fondamentale d’avec l’hypnose. La force qui rêve est ouverte au réel. On sent bien à la vivre qu'elle peut transfigurer la perception. Les hallucinés en font la pathologique expérience. Elle qui peut nous faire voir n'importe quoi, épouse alors la stricte et parfaite réalité sous nos yeux, mais une réalité encore plus dénudée que nous la percevons habituellement. Il n'y a même plus de reconnaissance perceptuelle, mais une plénitude sans faille. Impossible de sentir quelque vide que ce soit, dans cela. C'est par amour qu'elle peut épouser le réel. Sinon, la peur la maintient au fond de l'être cachée, insoupçonnée, même. Telle est notre histoire. Tant que nous sommes incapables de nous abandonner, nous laissons scellée dans notre coeur la conscience de l'extase, la perception non-duelle qui bouscule notre champ de vision rétréci habituel. Notre visage imaginaire disparaît. Nous sommes alors "le grand dragon" à la gueule de néant... Notre énergie doit rester hors du temps. Dès qu'elle s'investit dans le temps, nous sommes bientôt emprisonnés. Un pied dans le temps, un pied hors du temps...

91. LA MORALE ET L'AMOUR.

La morale vient combler le manque d'amour. Si nous aimions tous les hommes et tous les êtres vivants; il n'y aurait aucun besoin de morale. La morale dit "non", "ne pas"; l'amour dit oui! La morale a perdu maintenant ses racines transcendantes religieuses. "Aimez-vous les uns les autres" est une façon de dire "à mort la morale!"

92. VIVRE INCONSCIEMMENT DANS LA SOURCE.

Voilà ce que je peux dire aujourd'hui. Trahis par les mots, je ne veux plus rien dire que ça, rester dans le principe originel sans le savoir, coi. Agir sans savoir que l'on agit. Non-agir? Quelque chose comme cela; autant que l'on puisse s'en rendre compte. Un pilier: la méditation assise. Un toit: la voûte étoilée; un plancher: le silence. C'est vite criant, autrement. Cela grince. La réaction des choses nous poste immédiatement au bon endroit. Quand on sent ce lieu qui ne connaît pas la réaction; on ne peut plus le quitter. Seulement, parfois on ne sait plus où est ce lieu. Il n'est pas dans la mémoire. Il faut le vivre, le sentir pour aller s'y rafraîchir. Hommage à Krishnamurti qui a su ne pas en parler... Paradoxe, n'est-ce pas? Quand on ne le connaît pas. Mais peut-on vraiment ignorer ce lieu? Ne sommes-nous définitivement dedans sans le savoir? Mieux: Ne sommes-nous pas ce lieu sans le savoir?

93. LA CONSCIENCE EPANOUIE AU-DELA DES TROIS MONDES

_Quel est le rapport de la conscience avec les trois corps, le corps physique, le corps émotionnel, et le corps mental, dans une perspective d’éveil? -D’abord, je ne soutiens pas l’idée de corps distincts pour désigner le véhicule physique, l’affectivité et enfin le mental. Je parlerais plutôt de différentes couches de fonctionnement, physique, affective et mentale. Le premier mouvement de conscience est d'observer notre corps physique, notre sphère affective, et notre pensée, pour y détecter les tensions, refus ou attraction, sans chercher à les faire disparaître par un effort volontaire. Seulement observer. Le réseau d’attraction répulsion se dessine, et sa trame emprisonnante se révèle être un tout, l’ego. Dès lors, notre nature profonde qui ne dépend de rien, devient évidente dans sa liberté en regard du mouvement de l’interdépendance egotique. Cette divine nature repose secrètement entre les mailles du filet de la dualité, véritable mer transparente et cachée à l’esprit avide de poissons et aveugle à l’eau scintillante. Que se passe-t-il donc pour la conscience qui voit les différentes couches de notre perception? Elle prend conscience d'elle-même! La conscience de Soi apparaît. C'est ce mouvement qui termine la manifestation. Individuellement. C'est-à-dire que nous n'avons plus besoin de vivre des expériences conditionnées pour avoir le sentiment d'être. C'est pourquoi nous sommes libres par la suite des contingences matérielles. Nous nous « connaissons » comme l'inconnaissable. La quête sans fin que nous avions connue par le passé arrive à son terme. La dualité apparente manifesté/être conscience est résorbée à son tour dans l'inconnaissable, tant l’implosion spirituelle absorbe avec elle le monde extérieur. Les mailles du filet ne sont plus que des fils « de la vierge » gelés dans le petit matin blême hivernal. Tout est Etre, Conscience, Amour.

94. LA CORDE ET LE SERPENT

-J’ai entendu dire que les émotions empêchent de vivre la sagesse, est-ce vrai et cela implique-t-il que les sages soient insensibles comme des pierres? -L’émotion, c’est quoi? Un écho physique d’une perception externe ou interne. Une participation neurovégétative au vécu. Le coeur bat plus vite, le souffle aussi, les muscles se tendent... Les émotions ont un rôle à jouer dans notre vie. Certaines émotions concernent la survie, l’amour. Elles colorent les événements de telle sorte que nous nous rappelions mieux les faits. Malheureusement, cette coloration déforme souvent notre perception des faits, et là est le problème « spirituel ». Elles accentuent la dualité dans notre esprit. -Comment naissent les émotions? -La pensée prend racine dans la conception et enfin dans la perception, voyons cela ensemble. Parlons de la peur. Si vous n’avez jamais vu de serpent, que vous ignorez tout des dangers que ces animaux font courir, lorsque vous voyez une corde dans la pénombre, vous n’avez aucune émotion de peur ou de fuite car vous ne pouvez imaginer qu’il s’agit peut-être d’un serpent. Vous voyez bien que dans cet exemple la conception conditionne directement les émotions. Maintenant, cherchons si certaines émotions sont indépendantes des concepts et des percepts. Les émotions guerrières sont-elles indépendantes des conceptions? Là encore moins qu’ailleurs, on voit bien que la pensée d’appartenir à une tribu, une nation, est un préalable à une émotion, telle le sentiment d’être agressé par un ennemi; pour être agressé, il faut être deux. Si vous ne voyez pas deux, y a-t-il agression? -Prenons la jalousie, par exemple, où est la pensée, la conception? -D’abord dans l’idée d’être distinct de la personne dont on est jaloux. Si vous supposez que vous participez de la même vie, son expérience est celle de la vie, comme la vôtre; aucune raison de préférer son expérience à la vôtre, la vie s’enrichit dans les deux cas... Ensuite, jaloux de quoi? De l’argent que possède cette personne? De sa belle maison? De sa femme ou de son mari? De ses enfants? De son intelligence? Outre le sentiment d’individualité, nous voyons les conceptions de l’argent, de la beauté, de l’intelligence... qui sous-tendent la jalousie. Toujours une pensée à la base. C’est à vous de découvrir si toutes les émotions sont dérivées de la pensée, de la conception. Vous verrez alors que toutes les conceptions se résument à celle que j’évoquais: l’idée d’être un individu séparé des autres, autrement dit, l’ego. Effectivement, il cristallise tout le fonctionnement créateur de la souffrance, de la dualité dans le monde. Votre vision doit comprendre cet ego pour dépasser vraiment les idées et les émotions de désir et de peur qui sont nés avec lui.

Ainsi, nous observons la source de notre affectivité et de notre action. Quand cette affectivité concerne des éléments agréables, nous ne nous posons pas la question de savoir comment faire disparaître la cause. En revanche, quand nous souffrons de la réaction émotionnelle, nous cherchons avec vigueur une solution pour éviter cela. C'est bien sûr un tort de dissocier le plaisir et la souffrance, car les deux sont liés dans les mécanismes de contrôle de notre esprit. Nous ne pourrons contrôler la souffrance sans prendre une certaine distance d'avec le plaisir. Que se passe-t-il quand nous voyons avec certitude que notre pensée est à l'origine des troubles émotionnels? Eh bien nous évitons naturellement de nous taper sur les doigts! Et nous pensons de façon à éviter de telles cascades émotionnelles. C'est-à-dire qu'au lieu de percevoir le serpent, nous nous demandons "n'est-ce-pas une corde?" Nous nous méfions de notre automatisme perceptif. C'est le principe des psychothérapies dites "cognitives" de faire prendre conscience de la façon dont nous percevons le monde et l'interprétons pour choisir des pensées qui n'entraînent pas les cascades affectives désagréables.

En ce qui concerne la Voie, cette approche "cognitive" ne vise pas autre chose que prendre conscience du conditionnement que nous promouvons nous-mêmes, et dont nous pouvons nous prémunir avec un minimum de lucidité. L'observation de la pensée et de son retentissement sur notre affectivité nous permet de ne plus subir, mais de contrôler à la fois la pensée et l'affectivité. Notre pensée provoque des réactions en nous, jusque dans des couches profondes de notre psyché, et en définitive, nous fait souffrir. Cela compris, nous évitons l’affliction et contrôlons la pensée et son pouvoir de mobilisation intérieure. Au-delà de ce contrôle des émotions, l'enjeu de cette observation au regard de la Voie de l'unité est de saisir que toute notre souffrance vient de notre interprétation erronée de la réalité, en particulier dans son aspect séparateur et dualisant. Partant de là, nous corrigeons notre vision pour embrasser l'unification de la conscience et une vision holistique, mot très galvaudé actuellement, mais qui a sa place ici. Ainsi, nous sommes partis de la pensée, source de l’émotion, et plus particulièrement de notre interprétation erronée qui engendre la souffrance, puis nous avons pris conscience au-delà, du caractère dualisant de notre perception habituelle; aussi nous semble-t-il nécessaire de contrôler à la source ce phénomène en cascade. Il est plus facile de contrôler la pensée naissante que l'émotion éclatée, comme de déraciné un gland à peine germé qu’un chêne centenaire. Nous sommes maîtres de la façon dont nous envisageons la réalité, tout puissants pour rester en prison ou pour nous évader. -Au bout du compte, les sages ne ressentent-ils aucune émotion? -Les « bonnes émotions », non basées sur une conception dualiste du monde, mais au contraire sur l’unité universelle, nous les nommons « sentiments », lesquels vibrent toujours au coeur des sages, leur magnifiant la beauté de la vie sans les fourvoyer dans une vision fausse.

95. ENCORE UN PAS...

Je me demande encore comment il nous est possible de nous perdre dans la dualité, puisque nous sommes au bon endroit dès le premier instant? Qu'est ce qui fait que nous en venons à souffrir? Courir après les phénomènes? Est-ce à dire que nous ne sommes jamais perdus? Sans doute, seulement, nous croyons être perdus... La fascination est toujours présente dans les choses de ce monde, nous plongeons dans les affres de la douleur sans la voir venir. Mais au fond, pourquoi fuir la douleur? Elle fait partie de l'unité. Quoi qu'il arrive nous sommes libres et le resterons, quoi que nous fassions, quoi que nous pensions. Tel est le vrai sens, inaliénable. Nous pouvons faire n'importe quoi, alors? Je n'ose répondre oui! L'Etre est sûrement intouché par les vicissitudes, les pérégrinations de chacun de nous. Pas une ride qui naît sur le lac absolu. Devant l'illimitation de notre être, tout désir, toute peur nous quitte. Un beau matin, éveillé d’un songe de prisons et de chaînes, nous constaterons que ces liens n'étaient que des fils de la vierge à l’aurore de l'éternité.

96. NOUS SOMMES LE FRUIT DE LA NÉGATION.

Etre heureux signifie être dans l'unité. Notre conscience n'est pas très éveillée dans ce cas. Dans le malheur, en revanche nous devenons vigilants et la vigilance est l'aube de l'éveil, donc du retour à l’Un. Dans la souffrance, nous refusons les événements tels qu'ils sont. Le « non » nous densifie. Nous prenons conscience de notre individualité dans la lutte bien plus que dans le bonheur. Nous seuls nous privons de l’unité, et ainsi du bonheur de la non-séparation. Même dans la douleur, nous pourrions rester dans l'unité; mais nous sommes poussés par l’expérience à refuser de souffrir. Et paradoxalement, c'est la fuite qui produit le plus de souffrance, et non pas la douleur elle-même. Ouvrons-nous à la souffrance, et nous connaîtrons ce bonheur non dépendant qui transcende à la fois la souffrance et le ...bonheur, lesquels sont indissolublement liés. Pourquoi sommes-nous contraints de fuir devant la souffrance? N’est-ce pas notre passé biologique? La souffrance dans notre chair signifie le risque de perdre la vie, l'intégrité physique. Aussi sommes-nous programmés pour fuir ou combattre en cas de douleur. Psychologiquement, nous suivons par analogie le même fonctionnement. Quand nous souffrons dans notre âme, nous fuyons moralement et physiquement. Voilà le conditionnement somatopsychique. Puis les rouages intérieurs se complexifient de fuite en fuite. Si nous devenons capables de rester unis à la souffrance, sans fuir intérieurement, alors nous découvrons l'unité et la joie qui demeure, même dans la tourmente.

97 ETRE CONSCIENCE, cerveau...

La réalisation passe par le coeur. Le coeur de l’inconscience foncière. Cela ne doit pas devenir conscient, cela restera toujours dans la face cachée de l’être. C’est ainsi, et à comprendre cela, on se repose sur ce lit de silence...

-Pourquoi ne peut-on pas être conscient de l’être? -Etre conscient signifie entrer dans le relatif, c’est-à-dire voir naître un sujet et un objet. Etre conscient implique toujours un objet. Alors que, s’agissant de l’être, peut-on encore parler d’objet? Percevoir un objet requiert une action du cerveau, laquelle suit un apprentissage. La conscience dépend du passé, n’est-ce pas là la marque de la dualité? S’agissant de l’être, ne parlons donc pas d’objet. L’être échappe au passé, au conditionnement. Faut-il parler de sujet? Nous avons déjà abordé cette question aux confins du langage... Plonger dans l’Etre dépend d’un changement de dimension. Il y a un saut, un changement de point de vue. On sort du relatif, autrement dit, on quitte tous les points de vue simultanément. La dualité sujet objet disparaît. On pourrait dire aussi on change de principe: au lieu de voir à partir d’un point, on voit à partir de l’ensemble. - « Voir à partir de l’ensemble », notre vision passe quand même par le cerveau, n’est-ce pas, donc d’un point particulier, lequel envisage le monde avec tout le poids de son conditionnement. Je voyais l’autre jour une émission sur le cerveau à la TV. D’éminents scientifiques nous ont appris que le cerveau est très actif dans le processus de la conscience. Il s’active pour percevoir, en quelque sorte. Il projette, anticipe, suivant son apprentissage, lequel peut conditionner entièrement sa capacité à voir tel ou tel type d’objet, par exemple les lignes verticales, les objets en mouvement. Si le cerveau n’a pas appris à être conscient de ces objets, il peut devenir incapable de les reconnaître par la suite; pour lui ils n’existent tout simplement pas... Ce qui m’amène à vous poser la question suivante: L’absolu est-il reconnu par le cerveau, celui-ci a-t-il appris à le percevoir? -C’est une question importante, il est vrai... Le principe originel est constamment présent lors de l’apprentissage du système nerveux. Ce dernier ne peut faire l’impasse de méconnaître l’écran qui permet son déploiement. Il est également vrai que tout notre apprentissage scolaire, culturel, familial, personnel, est rarement orienté vers l’expérience de l’être. On en fait un objet nommé Dieu, ce qui est la meilleur façon de lui tourner le dos. Les religions ont été conscientes de ce travers et ont parfois, comme l’islam, enjoint de ne jamais représenter Dieu. Mieux aurait été d’ajouter « ni de le nommer, de le penser »... Mais c’est ainsi, nous n’avons pas tourner notre conscience vers sa source. Le vécu originel d’avant la conscience est toujours présent en nous, pas à l’état de souvenir, mais actuel. Le changement de point de vue dont je faisais état précédemment, pourrait correspondre à un dépassement du relais cérébral. Je vous rappelle que le cerveau est un gérant de l’action. Il ne gère pas le silence, l’immobilité. Même lorsque nous dormons, il continue sous une forme subjective à agir. Il n’arrête pas de courir. Goûtant le calme foncier, nous ressentons un abandon de toute matérialité.