68 HYGIèNE DE VIE ET SPIRITUALITÉ

Quand nous sommes saisis par le pouvoir impersonnel; nous éloignons naturellement les aliments et substances nocives soit à notre conscience, soit à notre santé. Fumer est nocif à la santé. Les excitants de toute sorte, les drogues psychotropes, ces drogues d’action puissante sur le système nerveux central, les tranquillisants sont directement nocifs à la conscience de l'éveil. Cette conscience nécessite en effet que le cerveau soit libre de percevoir et d'agir dans tel ou tel sens. Les psychotropes modifient notre conscience, nos perceptions, nos pensées, notre comportement et sont donc à éviter impérativement quand on chemine sur la Voie. Cela dit, j’ai connu des maîtres authentiques qui buvaient à l’occasion de nombreux verres de saké! Toutes les voies spirituelles se proposent de vous donner des conseils hygiéno-diététiques qui finissent par alourdir très sérieusement la vie de tous les jours. La recherche de liberté est en fait compatible avec une totale absence de contrainte; quoi de plus logique? Nous devons simplement remettre en question les habitudes que notre corps a pris, et laisser celles qui sont en accord avec notre coeur vigilant. Notre corps choisit instinctivement ce qui lui convient. Le sport, par exemple, sera pratiqué avec modération. L'esprit de compétition est dans la nature et ne s’oppose pas à la conscience de l'Unité. La quête d’un résultat, en revanche, c’est-à-dire la victoire ou la défaite, est une pure invention de l’ego. Nous voyons là les limites franchies par la mentalité sportive aujourd’hui. La compétition sportive peut exister sans esprit de but, cela semble incroyable, non? La compétition crée souvent une émulation propice au développement, dans tous les domaines de l’activité humaine. Dans la nature, les différentes espèces sont en compétition pour survivre, et la sélection existe bien. Mais les différentes formes de vie se combattent sans désir de victoire et sans peur de défaite. L’extinction d’une espèce laisse le champ à une espèce plus adaptée, plus efficace. Nous devons faire confiance à notre instinct, à notre sensibilité dès que nous devenons conscients que l'énergie impersonnelle guide nos pas. C'est Dieu en nous qui agit.

69. L 'ARBRE DE L'INDIFFÉRENCIATION.

L'image de l'arbre représente bien ce que nous pouvons percevoir de la réalité extérieure et intérieure. Tout au fond, il y a le tronc, unique, stable, puissant, inébranlable; ce tronc se ramifie en grosses branches primaires. Elles sont les premiers principes de la différenciation. Nous voyons ainsi la Conscience Primitive, se décoller de l’énergie indifférenciée et apparaître avec l'espace et le temps; le dedans et le dehors. Après ces branches souches, nous trouvons les grosses branches qui correspondent à des courants intérieurs plus différenciés: attraction, répulsion, produisant eux-mêmes les divers sentiments... Puis, ces branches se divisent encore, donnent des brindilles qui portent elles-mêmes le feuillage. Ce feuillage est mobile comme la pensée; un rien le fait bouger. Le plus souvent nous restons conscients uniquement du feuillage de la pensée et des brindilles de l'affectif. Nous ne saisissons que les courants les plus différenciés. Nous ne sommes pas familiers avec notre intériorité. En effet, celle-ci est surtout indifférenciée. Ce qui ne l'empêche pas de projeter dans le conscient des objets mentaux très particuliers, distincts. Le "moi" sépare tout ce qui est ce corps de ce qui ne l'est pas, et se projette sur l'environnement: c'est "à moi!" Ce "moi" est tramé du feuillage, et des plus fines brindilles, mais pas des branches souches, ni même du tronc. C'est une sorte de gui, un parasite. Quand nous nous tournons vers l'intérieur, il est important de prendre conscience de ce flou normal que nous rencontrons. Nous devons considérer que nous ne sommes pas flous, mais que nous voyons du flou. Cette différence d'approche est essentielle à la compréhension de nous-mêmes. Même si à un niveau plus profond nous ne nous distinguons plus guère de ce qui est vu. Nous pourrons nous sentir vigilants même dans le non-différencié. Souvent, nous avons besoin de calme intérieur. C'est normal. Si nous nous considérons uniquement sous un aspect différencié, nous disparaissons dès que nous tombons hors de la pensée. C'est un comble! Nous devons voir qu'au contraire nous ne sommes ni le différencié, ni le flou d'ailleurs: nous ne sommes rien! Nous sommes insaisissables, inexistants, en dehors du champ manifesté; c'est pourquoi nous sommes foncièrement libres. Alors nous restons présents quels que soient les états de conscience, de la vigilance à la rêverie, de la pensée analytique à la perception du foncier indéfini, du rêve au sommeil, nous sommes. Juste ETRE. La porte est l'ouverture à l'Indifférencié. Nous laissons de côté notre image, l'image des autres, du monde; tout se fond dans l'UNITÉ. Cette vision de l'arborescence du Foncier nous permet de comprendre nos couches dites subconscientes et inconscientes. Les principes qui gouvernent le mouvement intérieures de ces couches sont plus ou moins différenciés. Ce dont nous avons conscience en surface n'est que la superposition de ces divers principes qui recouvrent la lumière du Soi. Voici une image qui illustre bien ces rapports: la lumière du Soi est au fond du lac. Elle projette à la surface du lac tous les objets et poissons qui nagent dans l'eau. L'observateur est à l'extérieur du lac, il ne voit que ce qui paraît en surface. Ainsi, tous les principes que nous voyons sur le lac sont la somme de plusieurs vecteurs conjugués. Quand nous plongeons dans le lac, en renonçant à la distinction, nous découvrons les superpositions successives qui engendrent le conscient. Voir cela nous fait identifier le pourquoi du fonctionnement analogique de notre esprit. Puisque les principes sont communs à plusieurs groupes de pensées, de perceptions, au niveau du feuillage. En plongeant, nous nous unifions avec notre intériorité.

70. COMME LE VOL DES OIES SAUVAGES...

Q_"Pendant un mois, Docteur, j'ai vécu mes problèmes avec une sérénité étonnante. Mais, depuis quelques jours, je suis retombée dans la grisaille et les conflits des mois précédents. Cela m'a donné une migraine épouvantable!..." R_"Vous avez pu expérimenter avec bonheur la liberté intérieure... Il est normal qu'elle ne soit pas établie complètement dès le départ; que vous fassiez quelques "rechutes". Mais vous avez goûté à cette liberté, c'est l'essentiel. Quand vous perdez pied, ne luttez pas contre vous-même; adhérez à vos réactions; elles dureront moins longtemps, et même, elles se volatiliseront en un instant." Q_"J'ai réussi à relever le moral d'une amie, et pourtant, je suis retombé. Les problèmes dans mon travail d'enseignante sont redevenus ce qu'ils étaient; du coup, je me suis accrochée avec mon mari." R_"Il faut garder la vigilance. Elle vous permet de voir naître des réactions latentes. Ainsi, vous ne les laissez pas s'accumuler. Leur infiltration dans votre for intérieur à votre insu, leur permet de resurgir sans contrôle. Collez à ce-qui-est, vous resterez alors unie en vous-même, unie au monde qui vous entoure. Si votre centre de gravité intérieur ne correspond plus à ce-qui-est, alors naissent les tensions. Quand vous avez réagi à la situation, adhérez à votre réaction en déplaçant votre centre de gravité vers la réaction elle-même, en tant qu'elle est aussi "ce-qui-est". Vous devez rechercher le niveau de moindre tension intérieur. Je vais vous raconter une histoire qui parle de ce niveau de moindre tension. Il s'agit d'un reportage télévisé. Aux USA, Bill, un homme passionné par le vol des oiseaux depuis l'enfance, s'était promis de voler un jour avec les oiseaux. Pilote d'ULM, ces avions ultra-légers, il a entrepris d'élever une couvée d'oies sauvages, se faire adopter par elles, et enfin voler avec elles. Au départ, les petites oies n'avaient pas appris à voler avec leur mère. Leur mère était un homme en ULM! Elles ont donc appris à voler toutes seules, instinctivement, en suivant l'ULM. Et, qu'avons-nous découvert? Jour après jour, ces petites oies ont expérimenté le vol en formation. Elles se sont mises spontanément en "V"; elles ont trouvé les positions de vol qui consomment le moins d'énergie. La vie en elles a choisi l'équilibre le plus grand, le point de moindre effort.

De la même façon, nous devons trouver en nous-mêmes le point de moindre effort, ce point de non-tension qui s'établit quand notre centre de gravité fait "un" avec ce-qui-est. Ce point de moindre tension s'établit de lui-même quand nous restons vigilants. Si nous réagissons aux situations, adhérons à notre réaction."

71. DIEU NOUS PREND TOUT.

Nous sommes arrivés à la porte du temple. Nous devons rentrer nus. Tout laisser derrière nous. La connaissance: abandonnée! La discrimination aussi. Surtout. Notre volonté de servir doit être implacable. Mais servir qui? Effectivement, quand on parle de non-dualité, il n'y a pas d'autre. Alors? Nous avons utilisé à dessein un langage dualiste. Au niveau non-duel, tout est inclus. On peut tolérer un langage personnel, poétique, lyrique même, tout en restant conscient de son caractère relatif. Dieu nous prend tout ; nous ne pourrons être saisis par Cela qu’en laissant la place complètement vierge. La Grâce ne visite pas les préoccupés. Autant le savoir! De quitter nos intérêts mondains, nous aurons peut-être l'impression de rentrer au convent. C'est un peu vrai... Mais ce couvent-là inclut au lieu de rejeter au dehors. Il englobe tout ce que nous avons soigneusement expulser de notre vie. Notre force intérieure devra être entière pour observer sans indigence la moindre de nos tentations. Nous avons le droit de tout vouloir, certes, mais de savoir ce que nous voulons. Le dimanche matin ne suffira pas pour "cultiver la Voie". Toute notre vie devra être envisagée sous la lumière de la Vérité. Aucun terrain ne pourra rester au dehors, je le répète. Ceci ne nous empêchera pas de faire des choses très variées; il ne s'agit pas de penser à la Voie à tout moment. Mais nous devrons tout faire, à tout moment, "à la grâce de Dieu". Ce Dieu-là nous invite seulement à rester présent dans l'unité des choses. Accueillant. Tout le temps. Nous découvrirons des préoccupations loin du spirituel. Oui, j’aime faire la cour à ma voisine, au lieu de vivre l'Unité. Pourquoi opposer la Voie à l’amour humain? Ne sont-ils pas tous deux fruits de la Providence? Vivre nos points de vue egotiques en toute conscience, aller au bout de projets personnels avec vigilance, pourquoi pas? Un jour, la compassion nous place au-delà des griffes du mental, pas en fuyant, mais en observant paisiblement... Au loin, une cornemuse geint. C'est inattendu en Touraine, une après-midi d’Ascension. Cette intégration de toute notre vie dans la Voie va l'enrichir, l'épanouir. Notre force ravivée manifestera le jeu divin. Parfois, au contraire, nous nous sentirons inexorablement tirés vers la dualité, la lutte intérieure, le choix inextricable, le conflit profond. Restons alors sereins, adhérant de parti-pris; l'orage ne durera pas toute la nuit... La prochaine fois, nous regarderons avec plus de précision la naissance du conflit intérieur. Quel résultat ai-je donc visé? Qu’ai-je voulu refuser? Il y a toujours une solution; observons le problème de près. L'observation pure est dégagée du conflit. Aussi la solution est-elle adéquate. Il n'y a jamais de problème en soi. Il n'y a que des ego en lutte contre le monde. Quand le monde et moi sommes un, le problème disparaît. S'il y a quelque chose à faire, ça se fait. Soyez sûrs que c'est ainsi. La volonté de tout intégrer dans la Voie naît avec le sentiment de l'urgence absolue de s'éveiller et non pas de la quête d’un exutoire. C’est davantage une affaire d'amour entre Dieu et Dieu. Dieu en nous se cherche. Qui d'autre pourrait-il trouver que Lui-même? L'ego apprend vite que la libération se fera sans lui: cette expérience volatilise l'ego. La passion intérieure nous fait courir après tous les mirages du bonheur mais dès qu’elle entrevoit l'horizon du Divin, elle ne veut plus rien d’autre . Cette passion, cette énergie, est la Divine Shakti qui fait tourner le monde, chanter les oiseaux, fleurir les coquelicots. En nous, elle soit s’éveiller à sa propre dimension divine. Prisonnière des mondanités, cette énergie n’aura jamais le goût du nectar. Dans notre corps, l'union de la Shakti avec la Conscience est la béatitude cachée depuis l'origine. Nous ne fuyons donc à aucun moment le monde et ses travers. Nous épousons la vague de la manifestation. Tous les phénomènes témoignent de cette même évolution vers la perfection. Tous les désirs visent la Divinité. Dans notre for intérieur, dégagé de tous les aspects positifs ou négatifs, la Vie nous apparaît comme l’oeuvre d'une seule et unique Divinité impersonnelle, d'un Principe Universel tout-englobant. Tout est un. Nous devons refléter dans notre vie quotidienne cette réalisation. La réalisation mentale ne suffit pas, car, au fond, nous nous croirons toujours séparés du Principe. Q_"Mais, comment allons-nous vivre l'Unité si nous ne savons pas ce qu'elle est? Et pour vivre ce qu'elle est, nous sommes sensés repousser la dualité...en vivant l'unité! N'est-ce pas là un paradoxe, un serpent qui se mord la queue? R_"Vous reposez à juste titre la question: quelle est la fin, quel est le moyen? La fin, vous le savez, c'est l'unité. Le moyen, c'est la non-dualité. Ce qui n'est pas tout-à-fait la même chose. La non-dualité est de prendre conscience des paires d'opposés qui gisent dans notre esprit; qui d'habitude luttent les unes contre les autres, gaspillant l'énergie. Prendre conscience des paires de dualité et ne rien faire pour changer quoique ce soit, telle est l'application de la non-dualité. La réponse viendra de l’impersonnel. Pas de l'ego. Les paires d'opposés sont donc vues dans leur réalité dualiste. Et nous voyons bien que nous ne sommes pas cela. Autrement dit, nous nous dé-identifions de notre image egotique habituelle. L'ego qui choisit, qui oppose, qui lutte, ne capte plus notre énergie consciente. Et ainsi, l'ego laisse la place à l'impersonnalité, l'unité en nous. Nous n'avons donc pas à savoir ce qu'est l'unité pour la réaliser; mais à voir la dualité. Voir la dualité est relativement facile au début, par l’observation des gros mécanismes. Toutes les interdépendances doivent être identifiées. Par exemple: j'aime les motos. En voiture derrière un poids-lourd pendant des kilomètres sur une route de montagne, par 40°, j'imagine qu'en moto, j'aurais pu le dépasser. Je souffre de la comparaison. Si je me rends compte d’avoir posé l'a priori: je rêve de moto au lieu ma voiture; alors, impersonnellement, le choix est remis en question. Ca renonce en moi à la moto. Je revis au présent: en voiture, dégoulinant mais content! La comparaison tue, à l’évidence. En prenant conscience de cela, nous pouvons être réunifiés. Le secret revient à se situer au milieu des plateaux de la balance universelle, d'où nous contemplerons les choses dans leur vérité et en serons libres. Parfois, nous refusons inconsciemment de nous libérer de nos chaînes, sans même en avoir conscience. Dépassons cet obstacle délicat, sûrs d’être capables rompre ces chaînes, même inconscientes. La liberté gît déjà au for... Mais, pour ce faire, nous devons nous familiariser avec le fonctionnement de nos couches inconscientes. La volonté directe est impossible. Mais, à la manière d'un bio-feedback, nous pouvons semer des suggestions dans l'inconscient. Ses couches ne nous sont pas inaccessibles. Simplement, elles fonctionnent différemment des zones claires de notre conscience. Ainsi, le fait qu'elles ne réagissent pas "au doigt et à l'oeil" ne montre pas que nous ne sommes pas dedans. Cela montre qu'elles réagissent d'une autre façon. Le fait de ne rien avoir d'objectif pour nous repérer à ce niveau inconscient pose également quelques difficultés. Passons donc ces barrières et avançons. Nous pouvons nous situer au niveau inconscient en nous abandonnant, en quittant la sphère habituelle de la polarisation et en nous laissant couler comme une feuille morte dans l'étalité, sans flux ni reflux; comme au moment où le respiration se suspend. Sentir ce lieu profond dévoile nos rouages mieux qu’à la surface de l'esprit, afin de saisir les racines conflictuelles jusqu'à leur source et les identifier. L'énergie qu'elles recèlent pourra être ainsi récupérée et réutilisée pour l'action libre en surface. Quand le chrétien prie, il fait agir en lui cette facette impersonnelle d'autant mieux qu'il a la foi en la réussite. C'est la Déité qui agit en lui. Lorsque nous nous sommes abandonnés à la profondeur de notre être, nous revivons l'unité indifférenciée dans sa face sombre, dans son aspect non-manifesté. Nous nous perdons dans la nuit. Et pourtant, au fond de cette nuit sans lune, nous allons découvrir la lumière incréée. Cet abandon nous fait prendre conscience de toutes les tensions que nous avons engrangées au fil du temps. Nous pouvons les dénouer. Il faut tout pardonner, dit-on, c'est uniquement pour ça, dénouer les chaînes du passé. Pardonner, c'est se libérer soi-même. La liberté est une de nos aspirations fondamentales, de même que l'amour. Aussi, à voir nos chaînes, il n'y a point de discussion pour choisir. Ainsi, nous nous unifions intérieurement, et cette unité réalisée doit maintenant se projeter en surface, sur l'extérieur. Sans cette confrontation avec l'extérieur, nous ne pouvons pas savoir si notre intériorité est unie ou pas. Les tendances latentes de refus n'apparaîtront pas si les objets du refus ne sont pas présents. Tandis que lorsque nous descendons au fond de nous, les refus peuvent être sentis en l'absence de l'objet. Ceci permet de mieux se connaître. Tel le Christ descendant aux enfers, nous apporterons la lumière du pardon dans la caverne de notre coeur.

72. LA CRÉATIVITÉ

La créativité découle de l'élan naturel jaillissant au fond de nous. Ce flux divin traverse continuellement notre corps, nos sens, notre affectivité, nos pensées. L’artiste connaît son élan naturel et le mène sans effort aux confins de la pensée discriminante, à l'orée de la lumière illimitée. Pourtant, bien peu reconnaissent la source de leur art, où jaillit le pur joyau, dont un éclat transforme la vie de celui qui l'entrevoit. Reconnaître la source de la créativité ouvre à la vie-même, dans sa nudité, son innocence, sa spontanéité. L'inspiration devrait être un offertoire sur l'autel de la Divinité. Comment imaginer qu'il en soit autrement? L'inspiration, d'une façon détournée ou bien directe, vient toujours de la source. Mais combien va-t-elle perdre de limpidité en chemin? La crise de créativité témoigne de la précarité de l'inspiration egotique. Seule la joie de l'énergie primitive est inépuisable. Seule, elle peut nous rendre familier avec les dieux, les muses, nous faire entrevoir le Cristal Inconnaissable qui pénètre en un éclair intemporel au coeur de la création pour en élucider les rouages. Bref, qui s'en détourne, la méconnaît, se coupe les pieds, se coupe les mains. Qui la vit, se sent porté, dans la tourmente comme dans la béatitude, vers les rives incréées où rien n'est attendu. L'artiste doit fuir la comparaison s'il veut laisser le flux primitif se manifester en lui, jaillissant de la mer fondamentale non encore différenciée en conscience, énergie et matière. Toute comparaison tue l'unité foncière, tue la création artistique. Les peintres Zen savent projeter ce niveau brut de la création à travers certaines calligraphies. Plus nous avons affaire à un plan différencié, sophistiqué, plus nous perdons de vue le foncier, et plus la créativité nous quitte. L'élan vital est spontanément créatif à tous les niveaux de l'art. Trop souvent, notre vie nous occupe au point de nous faire perdre de vue cette capacité d’engendrer des productions artistiques. A tout moment nous pouvons refaire le chemin vers le centre, et avec lui retrouver l'élan créatif originel.

73. L'UNITÉ APRèS LA TEMPETE.

Enterrement dans un petit village des Pyrénées. Le beau temps des jours précédents a cédé la place à un temps couvert qui sied mieux à la mise en terre d'une amie... puis je suis allé assister au repas de noces de mon oncle qui a soixante-et-onze ans. La vie nous fait parfois des associations si contrastées! Combien l'unité peut être dure à réaliser! Ces circonstances le démontrent à merveille. Tout est Dieu, souviens-toi. C'est justement la meilleure leçon que je pouvais recevoir en ces heures de réalisation intérieure... Nous avons souvent besoin de contraste pour prendre conscience des choses. Nos sens émoussés par trop de stimulation ne réagissent plus à de simples sensations. Nous avons besoin de toujours plus de contraste, d’intensité, toujours plus... Ce n'est pas dans le « plus » que nous pouvons retrouver l'unité; au contraire. Elle naît quand nous redevenons simples dans nos perceptions, dans nos comportements. L'"hyper", le "super" nous éloignent de la nature foncière. Je remonte les marches vers l'unité. Chaque marche est bien identifiable. Quand j'abandonne le dernier bastion de résistance à l'unité, il n'y a plus rien. Plus aucune comparaison possible. Plus aucune pensée analytique. Juste "être" sans limite. La paix. L'arrêt du mental est ce qui frappe le plus. Il n'y a guère que l'unité qui lui donne la paix. C'est un peu notre sauvegarde; tant que le mental tourne, c'est que nous n'avons pas trouvé le foncier. Nous ne devons faire aucun effort pour arrêter le mental; il s'arrêtera de lui-même quand nous serons arrivé à bon port!

74. CHERCHE LE ROYAUME DES CIEUX D'ABORD...

C'était une jeune femme blonde que je voyais pour la première fois en consultation. Ses yeux bleus profonds et ses cheveux longs lui donnaient l'air d'une petite fille sage. Elle avait deux enfants. Elle se mit à parler de ses problèmes de santé. Divers troubles qui se rattachaient en définitive à des problèmes psychologiques. Ce n'était pas un parti pris de ma part, une conclusion hâtive; c'était elle-même qui me le confiait. En effet, à la suite d'une psychothérapie dans le passé, elle avait déjà surmonté de semblables difficultés. On sentait dans son débit de paroles une longue expérience de dialogue thérapeutique. Tout en regardant la fenêtre, comme si elle rêvait, elle décrivait ses états d'âme. Elle gardait une nostalgie de la période qui suivait sa psychothérapie. Elle m'apprit que son état de conscience d'alors était semblable à l'état de celui qui est libéré de la dualité. Les situations de la vie ne pouvaient plus lui causer de peine; elle se sentait libre des choses et des êtres. D'ailleurs, sa famille et ses proches essayaient de la faire retomber dans un statut mental plus accessible, plus proche de leurs difficultés. Pour eux, elle demeurait intouchable... -Mais, depuis cette période bénie, je n'ai plus retrouvé la liberté intérieure. Maintenant, je souffre dans mon corps de ces troubles, la colonne vertébrale me fait mal; je me sens mal à l'aise. Je déprime. -Avez-vous senti comment le conflit naît dans votre esprit? -Non. -C’est le point capital pour prévenir le retour dans la dualité. Vous devez voir comment surgit la lutte intérieure. Prenons un exemple, pour faciliter la compréhension. Je suis musicien. Je souffre de ne pas être reconnu en tant que tel. Tant que je m'en tiens à cette approche, je continue de souffrir jusqu'à ce que je sois couvert de gloire. Mais si je me rends compte dès le départ que c'est moi qui ai posé: je dois être reconnu en tant que musicien, alors je renonce; non pas à la musique, mais à une demande de valorisation egotique. A l'inverse, si je ne pose aucun préalable, aucune demande de reconnaissance de quoi que ce soit; l'art musical que je déploie peut se révéler susceptible de m'apporter la gloire. Ou au contraire rien du tout; mais ce n'est plus une demande particulière qui gouverne ma musique; c'est le jeu de la nature en moi; c'est la nature qui fait de la musique. Je ne suis pas concerné par une reconnaissance extérieure pour bien jouer. Cela joue en moi, pourrait-on dire. Plus globalement, nous voyons qu'il existe deux types de réponses aux événements de la vie. Soit nous faisons en sorte de satisfaire autant que possible nos demandes, et nous protéger de nos peurs; soit nous dépassons le mécanisme psychologique qui nous conditionne pour nous libérer à la fois de nos désirs et de nos peurs. Ce qui ne nous empêche pas de satisfaire les désirs qui concourent à l'équilibre physiologique. Une autre façon d'énoncer cela. Si je m'attarde dans le passé sans tenir compte du présent; ne voyant pas les données de la vie comme elles sont, je ne pourrai pas m'adapter au mieux de l'intérêt général et particulier. Je ressasse un échec au lieu d'analyser la réalité et le pourquoi de cet échec. Objectivement, que se passe-t-il? Que ferait une autre personne à ma place? Si on faisait une enquête scientifique ou policière, quels seraient les faits? Telles sont quelques unes des questions que l'on peut se poser pour prendre de la distance avec les opinions personnelles et sentir la réponse impersonnelle à la situation... Il faut partir de la liberté; nous sommes déjà libres. Nous ne devons pas attendre de voir telle ou telle chose pour nous déclarer libres. Nous n'avons pas besoin de connaître tous les rouages de nos conflits intérieurs pour nous en libérer. Mais nous devons nous centrer hors de la dualité. A partir de là, nous sommes à même de voir la liaison de choses entr'elles. Nous ne voyons souvent qu'un seul côté des événements. Celui qui nous plaît ou nous déplaît. Quand nous voyons les deux côtés, nous pouvons en être libres. L'énergie qui soutient les plateaux de la balance intérieure se retire en même temps de l'un et de l'autre. Tant que nous ne voyons qu'un aspect, l'énergie en nous ne peut pas se situer en dehors du conflit, si conflit il y a. _Je sais tout ce que vous dites; mais parfois je ne retrouve pas le cheminement psychologique qui libère... Je reste dans l'ombre et la tristesse, sans comprendre ce qui se passe. _Il n'y a pas de secret; nous devons d'abord sortir de la dualité. Pour ce faire, nous devons nous abandonner aux conditions de la manifestation. Si nous sommes capables de faire ce lâcher-prise, alors les cieux s'ouvrent. Pourquoi lutter contre les conditions de notre vie? Si elles sont ainsi, c'est que nous l'avons cherché, d'une façon ou d'une autre. (C'est dur de reconnaître cela, en général.) Ayant lâché prise, nous nous retrouvons centrés de nouveau, sans avoir eu à analyser la situation. A partir de là, notre vie va prendre une nouvelle direction, et nous devons laisser fonctionner le courant impersonnel à travers ce corps et ce cerveau. Quand nous nous abandonnons, tout est possible. Nous n'avons pas à nous libérer par une analyse complexe de notre conditionnement. -C'est justement le point qui m'intéresse le plus: sortir du conditionnement sans passer par le chemin laborieux de l'analyse psychologique. Comment réaliser ce lâcher-prise dont vous parlez, je ne me sens pas prête à m'abandonner sans savoir à qui, à quoi... -Quand l'intelligence a fait le tour du principe "ego", et comprit son inanité, alors le lâcher-prise est possible. Ou bien, sans que nous ayons compris l'ego, nous pouvons appliquer une technique de centrage de notre énergie; une forme de méditation, par exemple. Bien sûr, sous l'angle de la non-dualité pure, il n'est jamais question de technique. On doit se hisser au-dessus de la dualité à la seule force de la compréhension. Hors, celle-ci peut être difficile, voire impossible à certains d'entre nous. Il est alors légitime de proposer une technique de méditation, de centrage intérieur, de lâcher-prise provoqué. Notons au passage que le sommeil profond est un lâcher-prise qui s'effectue naturellement chaque jour, ce n'est donc pas un événement exceptionnel. Ce qui est exceptionnel est le lâcher-prise conscient. -Que me proposez-vous dans ces conditions? Suis-je d'après vous à même de comprendre directement la non-dualité, ou dois-je passer par une technique? -Qui doit répondre à cette question? N'est-ce pas à vous de voir cette réalité particulière?(...) Quand votre compréhension ne fonctionne plus, alors, vous devez vous résoudre à utiliser une technique de méditation. Ne serait-ce que passagèrement. Dès que vous verrez les choses avec clarté, alors, vous pourrez apprécier la liberté directement. Cela revient au même de dire: si vous pouvez lâcher prise immédiatement, alors, faites-le. Sinon, soyez vigilants sur votre fonctionnement egotique jusqu'à ce que l'énergie impersonnelle en vous renonce à l'ego. Ou encore, pratiquez une technique qui vous centrera rapidement et vous permettra de voir "ce qui est" sans effort. "Ce qui est" égale vision impersonnelle, égale action impersonnelle... Tant que le langage impersonnel ne vous est pas accessible, alors essayez de comprendre les choses et les êtres, en vous aidant éventuellement de la lucidité méditative. Ce langage impersonnel, non-dualiste, parlera à votre coeur à un moment ou à un autre. Vous avez pensé d'une certaine façon pendant longtemps, votre cerveau ne peut pas changer cela en une seconde. Il me semble que pour le moment, je dois m'aider d'une technique. Que proposez-vous? -Je vous propose d'utiliser un mantra. C'est finalement la technique la plus facile et la plus efficace. La racine mantrique la plus employée en Inde est "Om". Les principaux mantras contiennent "om". "Om mani padme hum". "Om namah Shivaya", "om namoh Bagavaté". C'est ce dernier que vous répéterez, en considérant qu'il représente, qu'il est lié, qu'il est l'état de non-conditionnement, l'Absolu, au-delà des contraires et des limites. Vous le répéterez d'abord à haute voix, puis l'intérioriserez mentalement. Il doit devenir automatique. C'est comme une barque qui mène du limité au sans limite. Sur l'océan infini, le mantra flotte doucement. Bientôt, vous vous fondez dans l'infini; le mantra coule... -Dois-je respecter un rythme? -Il n'est pas nécessaire de suivre le rythme de la respiration. Mais vous verrez que naturellement, le mantra prend place dans l'expiration, et meurt avec le souffle. Nous devons laisser renaître le mantra ainsi que le souffle. Sans effort, nous laisser porter par la mélodie. Cette mélodie-là ne fait pas de vagues, c'est pourquoi elle nous révèle l'océan sous-jacent aux vagues. -Vous m'avez répété pendant des jours que la non-dualité ne souffrait pas de technique. Comment conjuguez-vous cela aujourd'hui? -Je ne conjugue rien. L'expérience évolue. Ce qui semblait inadéquat hier se révèle utile aujourd'hui. L’important est de suivre le courant impersonnel de la Vie en vous. A l'un elle inspire tel ou tel fonctionnement; à tel autre, elle enjoint telle pratique. La vie ne s'arrête pas à une théorie, fût-ce la meilleure. Elle fait avec ce qui est. Le bonheur croissant est le meilleur indicateur que la liberté s'accroît. En définitive, on ne doit rien opposer à la non dualité. Elle englobe tout. Toutes les pratiques y mènent. Le fond commun à toutes ces pratiques est la confiance et l'abandon qui en résulte. C'est par cet abandon que l’ouverture à l'inconditionné est réalisée. Quelle que soit la raison que nous nous sommes donnée, l'important est de dépasser les limites.

75. C'EST UNE AVENTURE MERVEILLEUSE...

L'action spontanée du courant divin nous traverse quand nous nous abandonnons, et nous donne un sentiment de bonheur et de plénitude. Nous pouvons vivre ce courant spontané sans nous en rendre compte. Il coule et nous ne le contrôlons pas; c'est d'ailleurs pourquoi nous pouvons ne pas y prendre garde. Souvent la souffrance nous rappelle à l'ordre. Alors, nous voyons la distance qui nous sépare de la béatitude de l'abandon. C'est le signal d'alarme. Tant que nous sommes liés à la Source, nous ne pouvons pas souffrir. Même si le monde s’écroule... Dès que nous souffrons, c'est que nous avons quitté le berceau de l'unité. -J'ai passé une semaine passionnante. Je sens que la découverte de la liberté, tel que vous la décrivez, par l'ouverture au courant spontané de la vie, est une aventure sans limite. Je me suis surprise à donner des conseils de sagesse à ma directrice, moi qui ne me serait jamais permis une telle conduite il y a seulement quelques mois. Mes inhibitions disparaissent. Et le plus merveilleux de tout cela est que je ne produis aucun effort, cela se fait tout seul! -Effectivement, sans effort, sans réflexion, la Vie se manifeste. Si nous nous demandons comment nous devons faire pour laisser couler la vie, c'est que nous nous sommes perdu. L'état de dévotion réel est cet abandon des préoccupations personnelles et de se fondre dans le courant impersonnel. -J'ai entendu parler de différentes voies du Yoga: la voie de la connaissance, de la dévotion et des oeuvres. Comment situez-vous ces approches variées dans la non-dualité? -Elles sont toutes les trois en action quand nous suivons le courant impersonnel de la non-dualité. La connaissance correspond à cette conscience que nous avons de l'unité des choses; la dévotion est le sentiment de compassion que nous avons d'une part pour tous les êtres et les choses du monde, et d'autre part pour le Soi, l'Etre Divin dont l'entrevue d'un seul rayon nous transforme en adorateurs transis. Ces deux approches dévotionnelles n'en sont qu'une, en fait. L'Etre infuse complètement l'univers. Nous pouvons Le voir à travers les objets et les êtres innombrables. De même, la connaissance du Divin va de pair avec l'amour, l'état d'amour que l'on ressent dans l'unité. Enfin, les oeuvres qui sont accomplies par notre intermédiaire, dans l'humilité et l'effacement de l'ego, sont les conséquences naturelles de la conscience de l'unité, de la compassion et de la dévotion au Divin Enchanteur. La non-dualité englobe donc à la fois le Yoga de la connaissance, Jnana, celui de la dévotion, Bhakti, et enfin celui des oeuvres, Karma.

76 Tout au fond de ton coeur.

Tout au fond de ton coeur, une lumière luit. Elle est douce apaisante et se voit dans la nuit. Avant de t’endormir, il faut t’abandonner Si tu veux un instant pouvoir la contempler.

Abandonner la haine, la violence et l’amour Le vouloir et l’argent sont autant de détour. Qui aujourd’hui voit clair, dans ce monde perdu? Où le commerce a pris la place de la vertu...

C’est vrai le Paradis ne semble être sur Terre. Et pourtant si nos yeux embrassent l’univers, Comme le corps glorieux de Dieu manifesté De l’enfer surgira l’extase de la Beauté.

77 L’INNOCENCE DEVANT LA VIE...

Nous devons rester innocents en face de la vie. Alors seulement elle prend toute sa profondeur. Tout savoir sur les fonctionnements de la nature, comme on peut les connaître en science est un obstacle à l'accès direct au Réel. Il nous faut tout oublier, au contraire de ce que nous savons. Tout savoir est un piège pour la conscience. Elle reste alors prisonnière de la pensée, des mots. L'ouverture inconditionnelle est impossible sans la mort des mots et des pensées. C'est une pseudo-spiritualité, celle qui vous propose une science spirituelle, une connaissance verbale ou symbolique de notre nature essentielle et de celle du monde. C'est vouloir attraper de l'eau avec une passoire! Outre le fait que l'intention de saisir est inadéquate, la nature même du Transcendant, du Non-manifesté, celui-ci incluant l'univers manifesté dans l'Unité; cette nature est insaisissable pour la pensée et les mots, pour la mesure. A la fin de la conférence, cette jeune femme s'approcha pour parler de sa vie. Elle avait suivi cette position qu'il n'y a pas de hasard, pensant que les rencontres qu'elle faisait devait se faire... C'est ainsi qu'elle s'était mariée, avait fait des enfants, bref, elle avait accepté des choses au nom du sens que le non-hasard donnait à sa vie. Bien sûr, l'idée que tout cela avait peut-être comme source son opinion personnelle et pas un sens profond, une destinée lui posait quelques réflexions sur son vécu. - Je suis dans une grande incertitude, dit-elle, quand je considère toutes les conséquences de ce que vous avez dit. Je sens malgré tout une vérité en cela. Aurais-je une vie si différente pour autant, je n'en suis pas sûre. Je recherche avant tout l'Absolu, même si cela remet en question ce que j'ai pensé jusqu'à maintenant. - Voyez-vous distinctement comment les opinions masquent la réalité? Quand vous avez pensé que le hasard n'existe pas, vous avez fait des choix dans votre vie en fonction de ça. Maintenant, vous devez renoncer à suivre les opinions de qui que ce soit, même les miennes. Voir que les opinions d'autrui doivent être passées au crible de votre propre expérience doit s'imposer à votre esprit. Quand on voit que l'on se tape sur les doigts avec un marteau, on arrête! - Mais, maintenant comment vais-je supporter la vie que je mène? Tout ce conditionnement... - Vous êtes mariée, vous avez deux enfants, vous êtes impliquée vis-à-vis d'eux. Vous dites par ailleurs que ce qui compte le plus dans votre vie, c'est l'Absolu; alors vivez cet Absolu, cette Unité, rien de ce que vous vivez n'a besoin d'être changé pour ce faire. Cette Unité inclut votre vie personnelle, vos enfants, votre mari. Il ne faut surtout pas croire que l'Absolu est quelque chose de différent de la vie de tous les jours. Mais si nous voulons vivre l'Unité dans la vie de tous les jours, nous devons avoir une vigilance, un sens du sacré, une profondeur qui puisse infuser dans le quotidien pour qu'il soit neuf chaque jour.

78 Le KARMA.

Le karma, au sens que les hindous lui ont donné, s’entend, une loi de rétribution des actes individuels, disant « qui tue par l’épée périra par l’épée », n’existe pas. Une loi de justice universelle non plus. Constatons simplement que deux événements dans l’univers n’ont jamais pu exactement se reproduire, c’est dire que personne ne pourrait recevoir en retour exactement la même force qu’il a émise, comme une onde se réverbère sur les rives d’un étang et revient vers sa source. Si le karma existait, il faudrait de surcroît qu’un nombre infini d’événements se reproduise au moins une fois, autant dire que le cosmos semblerait tourner en rond!! Si on dit que l’histoire est un éternel recommencement, dans le détail, rien ne revient exactement, pour les mêmes mobiles, que dans le passé. Ajoutons encore à cela combien le bien et le mal sont relatifs à chaque situation, un bien se révélant un mal et vice versa, comment la providence pourrait-elle gérer un tel système? La nature créée continuellement du neuf, alors que faire du vieux karma?... Je vois déjà les questions pressantes venir, « comment pouvez-vous d’un seul trait balayer toute une tradition sans apporter la moindre preuve?... ». Je vous répondrai: « Il est légitime de s’en tenir à notre propre expérience de la vie. Et à ce niveau immédiat et simple, le seul karma dont nous pouvons constater la présence réside dans l’obscurcissement que produit un fonctionnement inadéquat de la pensée, des sentiments. Le conditionnement des comportements constitue vraiment un poids pour l’avenir. Cela tient à la structure du cerveau, véritable réservoir aux souvenirs, aux savoirs faire. » L’éveil vient chambouler ce bel ordonnancement. Les comportements ne vont pas disparaître d’un coup. Il faudra la vigilance pour désherber tous les sombres sillons dont les semis se feront sentir des mois après... Mais, au moins, nous ne semons plus de nouvelles graines.

79 SEJOUR AU MONASTèRE DE LANDEVENNEC.

Perché au flan de la presqu'île de Crozon, le monastère de Landevennec m'avait tendu les bras pour que je puisse faire une coupure dans l'habitude. Même s'il est illusoire de vouloir se couper du monde turbulent pour se fondre à la paix, le mouvement naturel de repli dans le silence du coeur et de l'esprit nous est suggéré, comme lorsque nous partons nous coucher dans un endroit tranquille pour dormir... La lecture de mystiques chrétiens me confirma combien la voie est unique dans le coeur. Tenir son esprit nu devant l'éternel n'est pas autre chose que se défaire de tout ce qui encombre le terrain de la conscience pour que Dieu puisse y demeurer. Que l'on fasse cette démarche au nom de la non-dualité ou de l'humilité aboutit au même résultat. L'esprit est vidé de son contenu, dualités ou attachement au monde, désir et peur, renoncement à la richesse, à la connaissance. St Jean de-la-Croix commandait de se vider à la fois des choses mondaines bien sûr, mais aussi des choses spirituelles, ce qui est plus original et proche de ce que nous connaissons de l'abord direct et impersonnel. Quand le mystique-apprenti avait fait cette démarche, il se retrouvait dans la nuit de l'âme. C'est-à-dire que le monde et l'esprit l'avaient quitté, et que Dieu ne l'avait toujours pas rempli. On retrouve cette nuit de l'âme dans plusieurs traditions spirituelles. Même dans le Zen, on connaît cet état de la conscience quand on est libéré de la dualité, mais non encore investi de l'Unité. L'énergie est en repli dans le tréfonds de notre esprit, et ne se reprojette pas encore en surface, vers la perception habituelle du monde. Nous sommes alors dans un état indéfini, sans repères d'aucune sorte; terne sans que cela soit gris; d’autant plus confortable que l'on n’espère plus rien. Mais, si l’abandon est incomplet, cela ressemble aussi à l'ennui; à la dépression. C'est là que le guide intérieur doit être présent pour maintenir le cap. Quand nous voyons notre énergie en baisse, nous fuyons ce qui la déprime. La tentation est alors grande de retourner vers la mondanité qui ravive notre tonus; nous sommes prêts à troquer la liberté contre la joie de vivre. Si nous avons la patiente, nous récupérerons les deux. Il faut tenir, c'est l'enjeu absolu. Notre réalisation passe par là. Ce n'est pas qu'elle soit conditionnée par cet état indéfini; c'est que cet état constitue la base de la conscience de l'Unité, et le témoignage que le terrain est bien libre. Cette nuit de l'âme explique pourquoi beaucoup considèrent que la voie est impossible à suivre sans aide extérieure. Le moment où nous n'avons plus aucun repère peut nous voir tourner de mille façons. C'est là que les tendances latentes peuvent se révéler plus fortes que nous le soupçonnions. Mais ne perdons pas confiance, le maître est avant tout intérieur, le maître impersonnel bien sûr. L'énergie-conscience qui se révèle à elle-même suit un certain processus; il suffit de faire confiance à cette nature. Ne pas désespérer, si l'on peut employer ce mot dualiste. Foi en l'Unité. Nous sommes déjà Un; ce n'est que le rêve de se croire plusieurs qui doit se terminer. Le chant des moines rassemblés dans l'église un peu froide au petit matin de l’automne semblait faire corps avec l'espace, dans une continuité transparente. Ces hommes rassemblés là, vouant leur vie à Dieu, unis dans leur chant, savent-ils leur bonheur d'être protégés de la violence et de la peur, de l'envie, de la faim, de la soif? Mais est-ce vraiment un bonheur? En ces jours de quête pacifique, j'aurais juré que oui. Maintenant que quelques mois sont passés, ajoutant ces quelques lignes, je me le demande encore. Il me semble au contraire que nous ne devons jamais nous démarquer de la vie courante. Nous goûterons alors la plénitude la Non-dualité, son énergie en plein essor, apte à gouverner le monde des contrastes pour ne pas dire des luttes. Aux yeux de l'Un, ce monde n'est que félicité, amour et perfection.

80. IL N'Y A PAS DE SUJET ABSOLU, UNIVERSEL.

Nous rejoignons là la science physique. Il n'y a pas de témoin universel. Dieu n'est pas une conscience transcendante qui observe le monde... Nous avons vu que notre recherche du sujet absolu est vaine. Quand nous gagnons l’horizon de la conscience et que nous nous approchons de ce qui voit; nous nous trouvons devant l'impossibilité de nous voir: nous sommes le seul témoin; il ne peut se voir lui-même. C'est là que nous sommes tentés de conceptualiser le sujet. Bien qu'impalpable, nous lui accordons l'existence. C'est là que nous risquons de nous fourvoyer dans la dualité. En fait, il n'y a pas de sujet. Celui-ci n'est qu'une extrapolation, qu'une interprétation du mental dans le champ de conscience. La seule réalité est ce champ de conscience indifférencié, qui comprend le monde et tous les objets qui le remplissent, les êtres vivants, et l'apparence d'un témoin de cette vie qui évolue. Témoin individuel et multiple. Comme dit Krishnamurti, le témoin essaie de se différencier de ce qui est vu pour gagner une existence autonome; c'est une erreur; c'est l'erreur qui est la source de toutes les autres erreurs d'interprétation de la réalité. Il n'y a pas de conscience transcendantale. Il n'y a que cela, indéterminable, indifférencié, innommable, et inconnaissable. C'est là. Point à la ligne! Que pourrons-nous dire d'autre? La vigilance fondamentale n'est pas autre chose que de voir cela. Et donc d’arrêter de se concevoir en tant que sujet, tant individuel qu'universel. Mais, alors que nous nous concevons d'habitude comme une personne; rien ne doit nous pousser à une telle conclusion. Si je ne pense rien à mon sujet, qui suis-je? Ai-je quelque chose qui me permette de me distinguer du monde qui m'entoure, des êtres et des choses? Honnêtement, non. L'arrêt de la machine à penser produit à la fois la disparition du sujet, mais aussi de ma propension à me situer en tant qu'individu, séparé de l'environnement. C’est-à-dire que le monde apparaît comme un "phénomène" particulier, que l'on peut interpréter de différentes façons, dès que l'on pense la réalité au lieu de la vivre. Dès que l'on se contente de la vivre, elle n'est que cela... Il en a fallu des rondes et des rondes pour se libérer de la croyance subjective... Il faut dire que le consensus nous y pousse, nous y a toujours poussés. -Je suis fasciné par ce que vous dites, et au fond j’aurais tendance à aimer cette vision. Mais intervient mon sens des responsabilités. Que devient-il dans une telle noyade intérieure? Comment être adulte, responsable, et disparaître en tant que sujet? Toute notre psychologie veut renforcer notre statut d’adulte, libre, alors qu’ici, si j’ai bien compris, on fait fi des responsabilités, non? Je suis loin des envolées métaphysiques, mais la vie de tous les jours me touche beaucoup plus. -Il n’est point d’envolée métaphysique qui ne doive atterrir. Je suis contre les envolées abstraites. S’agissant de la responsabilité de l’ego, il y a plusieurs éléments à décrire. Responsabilité implique choix. Choix implique liberté. Liberté implique non-ego, car l’ego n’est pas libre de choisir, il est contraint par le passé, le conditionnement qu’il a lui-même créé. Ses refus et ses peurs lui permettent-ils d’être libre? Bien. On ne peut vraiment être responsable que dans la liberté du non-ego. Voilà une réponse pratique. Il est bien clair que le non-ego n’est pas un état infantile de dépendance, d’action spontanée et irresponsable, de pulsion, voire de compulsion! Au contraire, la vision claire met en lumière les conséquences de l’action pour chacun en particulier comme pour tous, de façon générale et sans parti pris. L’adulte le plus clairvoyant, mais encore egotique ne peut y prétendre tout-à-fait. Son conditionnement, à son insu, viendra sans doute tronquer la vision et l’action impersonnelle.

81. COMME LA LUMIERE DU PROJECTEUR.

Il y a deux façons de montrer la conscience de l'unité. Prenons l'image du projecteur de cinéma. Le monde habituel, supposons, est le film que nous voyons à l'écran. Si le film est coupé par inadvertance, nous ne voyons plus que la lumière pure sur l'écran immobile. Le temps est arrêté, le mouvement aussi. Il ne reste plus que la lumière incréée du Soi. Pour connaître cet arrêt de l'espace-temps, nous devons rentrer en transe profonde, pour que nos sens soient éteints. Il faut ce fameux retrait des sens que le Raja-yoga décrit. C'est la première possibilité. Voyons maintenant la seconde. Nous sommes toujours dans la salle de cinéma, et je vous dis: "Est-ce que vous percevez la lumière au-delà des images mouvantes? Fixez votre attention non plus sur les mouvements apparents des objets qui apparaissent à l'écran, mais sur la lumière qui les portent tous." Vous faites alors la mise au point nécessaire pour ne percevoir que la lumière en délaissant le plaisir de voir le scénario. Et effectivement, au bout de quelques minutes, vous ne voyez plus que la lumière, même quand le film continue. Nous n’avons pas à débrayer les sens pour opérer ce changement de mise au point. Cette analogie est assez fidèle du mouvement de conscience qui nous est proposé pour "être saisi par l'Unité". Nous pourrions développer certains aspects autres à partir de cette image du film et du projecteur. L'essentiel est surtout de voir ce mouvement de conscience, ce changement de niveau dans la perception, et le besoin de replier les sens ou pas... Dans la vie courante, il n'est pas aussi facile que nous l'avons décrit de faire ce changement de mise au point. Non seulement, c'est difficile, mais périlleux. Si nous ne sommes plus attentifs à ce qui se déroule sous nos yeux et que nous ne voyons plus de différence; que nous sommes absorbés par l'Unité; nous nous exposons à des absences de réactions qui pourraient laisser nos contemporains dans le désarroi. Comment réagir en effet quand tout devient une seule et même évidence au sein de laquelle rien ne peut être distingué? Nous devons en conséquence garder une certaine conscience distinctive...sur un fond d'unité. Ne pas nous attacher uniquement au film comme fait tout bon spectateur, mais avoir conscience de la lumière incréée qui soutient tout. En fait, nous n'avons aucun effort à faire pour garder cette position subtile de la distinction dans l'Unité. C'est la façon naturelle dont nous vivons dès que nous cessons de courir après la dualité. C'est le point fixe, le centre de gravité que nous pouvons ressentir dès que nous renonçons à tout effort. C'est notre conscience normale. Si nous nous absorbons dans l'unité, c'est que nous nous laissons aller vers le non-différencié, que nous coulons en profondeur comme nous coulons quand nous nous endormons. De l'autre côté, si nous poursuivons le mouvement qui se présente, c'est-à-dire la course habituelle que nous connaissons bien, du moins que nous pratiquons sans cesse; nous sommes pris dans le mouvement dualiste, la souffrance de la lutte entre ce qui est et ce qui devrait être... Quelle que soit la solution que nos trouvons dans le film, nous ne pourrons saisir la lumière, ce n’est pas au niveau du scénario que nous réaliserons. C'est donc tout simple: nous ne devons ni courir après les phénomènes, ni après l'essence.

82. LA PEUR DE LA MORT.

C'était un jeune étudiant suisse, brillant et sympathique. Accompagné de sa jeune épouse, il venait me rendre une visite amicale. Après avoir regardé à la TV une émission sur la décadence des USA, nous en vînmes à parler de la Voie. C'était surtout pour comprendre ce qui pouvait motiver quelqu’un à chercher un dépassement de la condition ordinaire. Il était d'avis que seul un motif névrotique pouvait pousser un individu au dépassement de lui-même. Il se trouvait très bien dans sa vie et ne voyait aucun motif pour changer quoique ce soit. J'évoquais alors le fait que notre fonctionnement habituel n'est pas exempt de névrose. Mais cette névrose légère est un consensus. Je montrais également comment nous agissons en fonction de préjugés qui nous enferment dans des rapports superficiels. Nous ne sommes jamais en contact avec nos interlocuteurs. Nous utilisons les images de ces interlocuteurs que nous percevons et agissons selon. Nous ne savons pas écouter sans comparer. Enfin, je démontrais que le sage n'est pas perdu dans un rêve intérieur stérile, mais est au contraire plus en contact avec le monde que quiconque. Le sage ne rêve pas. Nous rêvons quand nous pensons la réalité au lieu de la voir comme elle est. Mes interlocuteurs se montraient critiques avec des objections constructives. Finalement, cet ami nous dit: «je suis sûr qu'il n'y a rien après la mort!" Je lui fis remarquer que cette attitude n'était pas scientifique. L'affirmation scientifique est "je ne sais pas s'il y a quelque chose après la mort." Mais notre ami avait décidé que "tant qu'on ne lui démontrerait pas qu'il y a quelque chose après la mort", il s'en tiendrait à la première hypothèse. Je cherchais à élucider le pourquoi de cette affirmation. Un matérialiste n'est pas sensé conclure sur ce point. "J'ai peur de la mort!" finit-il par dire. C'était bien là ce qui apparaissait... Pourquoi avoir peur de la mort quand on croit que tout va se terminer avec? Nous ne pourrons pas souffrir si nous n'avons plus de corps... "Oui, mais à cet instant, je trouve affreux l'idée de mourir un jour!" Qui va mourir, un jour? "Moi! Vous tous." Pourquoi penser à la mort? Est-ce que nous avons peur de la mort quand nous n'y pensons pas? Mes amis ne comprenaient pas pourquoi la pensée est un obstacle à la perception directe. Cela leur semblait un appauvrissement de la condition humaine. D’ailleurs, le monde n'allait-il pas dans un sens complètement opposé sans espoir de retour? Toute l'humanité semble entraînée dans une course folle où la non-pensée n'a pas de place... Pourquoi ne pas penser? C'est ce que nous avons de mieux à faire, non? Regardons les faits. Nous ne repoussons pas la pensée utilitaire. Nous repoussons la pensée qui prétend se substituer à notre être profond. Nous ne sommes pas de la pensée! Tant que nous collons à la réalité que nous avons sous les yeux, nous ne risquons pas de perdre de l'énergie. Il n'y a aucune césure entre la perception du monde et la réponse au monde. Par contre, lorsque nous pensons, nous ouvrons la porte à la dispersion de l'énergie. Voir ce qui est sans aucune interférence nous promet la meilleure réponse dans l'action qui est à faire... Nous pouvons prendre conscience que ce fonctionnement est le plus adéquat simplement par le bien-être physique ressenti pendant et après l'action. Depuis quelques jours, je n'avais pas eu le temps de remettre mon énergie à zéro. La saturation n'était pas loin. Je décidais de m'asseoir et de prendre conscience des tensions accumulées. Sans que je puisse identifier les tenants et les aboutissants, je m'abandonnais au sans-forme. Le mantra "Om namoh Bagawate" qu'emploie les disciples d'Aurobindo, s'imposa comme le vecteur harmonisant. Je ne suis pas fanatique des mantras, cependant, je dois avouer qu'ils ont un pouvoir de recentrage excellent, pour peu que l'on ait conscience qu'ils ne sont pas une fin en soi. Bref, dans la tourmente, ils ont leur place. Et ce soir-là, la tourmente n'était pas loin... Quelle ne fut pas ma surprise de me réveiller le lendemain en pleine possession de mes capacités. L'ordre se mit dans tout ce qui attendait un règlement. La force impersonnelle fonctionnait à merveille. Je n'avais pas dénoué les noeuds dans le mental, "ça fonctionnait par dessus." Je ne voyais pas alors l'intérêt de regarder en arrière. Tous les domaines qui devaient influer sur la déprime énergétique s'étaient trouvés corrigés sans que je sois intervenu volontairement. L'organisation du travail, par exemple fut réorchestrée d'emblée magistralement. Ce jeu merveilleux de la force impersonnelle s'impose par sa clarté et sa pertinence. Rien à ajouter ou à retrancher. J'avais pensé jusqu'à présent que l'on devait se libérer en prenant connaissance des obstacles intérieurs. Ma stupéfaction était grande devant l'ordre harmonieux qui s'était réinstauré spontanément. Seul le sentiment de perfection était présent. Je n'avais pourtant pas vu le pourquoi du décentrage. Pourquoi demander comment la voiture fonctionne quand elle file comme le vent? Elle roule. Point. Le dérapage peut être évité par la méditation régulière, pas forcément assise, mais la vigilance. Cette vigilance doit idéalement être présente tout le temps. Si ce n'est pas le cas, nous pouvons néanmoins faire le point quand nous sentons que nous perdons le fonctionnement impersonnel limpide. C'est donc un point capital que nous venons d'évoquer. La différence fondamentale d'avec la psychothérapie tient dans le fait que nous possédons un moyen de retrouver l'équilibre sans faire intervenir l'analyse. Ce moyen est l'abandon de toute volonté personnelle. Cet abandon restitue une vision claire de la réalité, celle-ci engendre elle-même l’action nécessaire.

83. PERCER LA FLèCHE DU TEMPS.

Comment veux-tu percer la flèche du temps à courir ainsi? A moins de t'arrêter, jamais son souffle zénithal ne rafraîchira ton esprit... Il te faut être en face du gouffre néantiel, sentir son aura froide caresser tes joues; ne pas fuir surtout! Immobile et serein, sans attente, tiens-toi là, et regarde. Langage tari, souffle suspendu, tu sens proche, imminent, l'éclatement du moi. Il ne résiste pas à la dépression de l'être vers le néant... Mais tu n'as pas peur; tout est gelé dans l'espace vide; stable, presque mort. Et le vent du néant souffle sur ta mémoire; tu ignores qui tu es, qui tu fus. Dans cet arrêt total, le temps est suspendu; l'horizontal n'est plus; tu revois dans les limbes l'espace-temps, l'homme, le monde comme un rêve. Tu perçois évident cette dentelle du réel reposer hors de l'existence, y prendre sa source, y retourner. Si son jeu semble vrai, c'est qu'elle brille sur le lac de l'absence... Maintenant, la folie a cessé de se perdre en mouvant sur la vague manifeste. Quelle image de toi pourrait demeurer là, qui prêterait le front à l'outrage? Les griffes du destin, les mensonges à venir n'auront plus prise à rien. Tu es libre. Baptisé d'infini. Ton coeur serein rend grâce.

84 VISION CHAMPETRE.

Assis sous un chêne, je méditais, les yeux grands ouverts, la conscience immobile. "j'ai besoin d'un pilote de tracteur", dit mon frère en venant à mes côtés. Je me levais et le suivais. Mon attention restait libre pour méditer au volant du tracteur en première. "Qui est celui qui voit?" par notre regard sur le monde... A cet énoncé, notre conscience effectue un mouvement de recul semblable à celui de la conscience de l'Unité. Ce mouvement apparent de recul est en fait un centrage dans le vecteur sujet/objet, à ce point défini; "vision". Notre être est rassemblé, dans la juste position de l'équilibre intérieur de la conscience. Cela nous conduit au-delà du par-delà...sans quitter notre place, dans le non-espace et le non-temps. Devant un paysage, sachons retrouver cette vision non dualiste. Elle embrasse et fond tout dans l'Unité. Nous ne pouvons rien attraper; alors, ouvrons-nous! Nous sommes naturellement identifiés à l'objet vu. Seule, la fonction ego nous fait revendiquer une distinction entre l'objet et notre image intérieure, fruit de notre expérience. La reconnaissance cognitive nous emprisonne dans la dualité. Regarder sans l'effort de reconnaissance, c'est se dégager de la discrimination. Nous réintégrons alors notre nature essentielle immédiatement accessible derrière le mouvement de saisie intérieure habituel. Idiot, dans le vague; nous devons éviter de rêvasser. Apprécions cette réalité incernable, fluide, floue: c'est nous! Tout se déroule dans cette conscience illimitée. De vague, sans contours, presque sans lumière, cette réalité se révèle dense, cristalline si nous lui laissons le champ libre. Il n'y a rien d'autre à faire: simplement être... L'innocente posture de l'être nous ravit. Elle enchante notre coeur, éclaire notre esprit. Pourquoi le monde ne peut-il suivre cet influx? Les hommes bloquent plus ou moins consciemment l'infusion de l'être et son action spontanée. Nous avons sentie cette action spontanée; elle nous avait fait pleurer de joie. Nous nous sommes ressaisis, avons mis un mouchoir sur notre sentimentalité; et avons poursuivi la route rude et impitoyable de l'adulte responsable... La société de consommation implique le bien-être de l'homme. A ce titre, nous connaîtrons un jour à coup sûr la liberté; elle est le suprême bien-être attendu depuis l'aube des temps.

85. ARTISTE-CARROSSIER...

Un jeune homme romantique venait me voir pour que je l'aide dans les problèmes importants qui lui incombaient. Quand il me dit qu'il avait un brevet de carrossier, je ne le compris pas. "Il faut bien manger!" C'était sage... De gros problèmes avec son père le rongeaient. Ce dernier était devenu psychotique et irresponsable. Très dur pour un adolescent de dépasser l'image d'identification habituelle de son père pour cause "de non-conformité". -Depuis que j'ai ces problèmes, il m'est impossible de peindre. C'est le vide total! -La source créative vient de notre profondeur. Si nous sommes coupés de notre profondeur pour cause de souffrance, nous nous coupons du même coup de l'élan créatif. Aussi, quand nous prenons conscience de cela, et que nous nous laissons aller à la souffrance légitime, pourrions-nous dire, nous pouvons retrouver le courant limpide de la vie et de la créativité. Vous faites douloureusement la découverte de cette source. Mais si vous n'aviez pas connu cette passe difficile, vous seriez peut-être passé toujours à côté de la dimension essentielle de la vie. Beaucoup d'artistes ne mettent pas en pratique l'inspiration de leur nature profonde; ils suivent la simple projection hasardeuse de leurs pulsions inconscientes, de ce qu'ils croient être eux-mêmes. -Je m'inspire souvent du rêve, est-ce une mauvaise façon de créer? -Le rêve est la manière dont notre esprit règle les choses des jours précédents que nous avons vécus et qui nous ont impressionnés. Ce n'est en aucune façon le jeu libre de la créativité; tout au plus un puzzle conditionné. L'artiste qui voit cela ne peut pas se contenter d'un tel langage. -Que pouvons-nous faire pour quitter ce rivage conditionné? -Vous devez retrouver en vous cet état, ce non-état, qui ne dépend de rien d'objectif. Il est simple de le voir dès que nous savons qu'il n'y a rien à saisir. Nous devons rester vigilants, sans rien faire ni penser volontairement; mais juste laisser couler la vie en nous sans interférence. Pour l'artiste, cela suppose un abandon qu'il n'est pas souvent amené à pratiquer. Il part plus volontiers de "que vais-je exprimer?" La juste position veut que nous nous considérions comme des canaux de la vie qui se manifeste en nous. Mais cette vie coule sans réflexion, sans soi-conscience, sans intention. Comme elle est, elle fait. L'ego apparaît quand le courant de la vie fait plusieurs plis, interfaces qui créent un effet de miroir, une conscience de soi dans l'action. La conscience de soi rapportée au corps physique, telle est l'ego. L'ego n'est pas autre chose qu'une complication de la manifestation, un tourbillon qui se coupe de la source. Il n'est d'ailleurs indésirable que parce qu'il se coupe de la source; en tant qu'interface réflexive, il n'est pas pathologique... Pour en revenir à la créativité, elle ne peut exister durablement que lorsque nous nous accordons à notre profondeur indifférenciée, à la vie qui jaillit, claire, limpide et joyeuse.

Encore un mot; trop souvent, l'inspiration est dite promue par la souffrance, quand ce n'est pas par la névrose, voire la psychose! C'est faire fis de tout ce que l'homme possède de grandeur et de divinité quant aux possibilités de créer à partir du non-conditionné.

-C'est très important, ce que vous dites là! Je vois que jusqu'à présent, je n'ai pas suivi ce courant de la vie; moi qui considérais que le rêve était la source de la créativité, vous m'avez fait découvrir une dimension insoupçonnée. Merci. Puissé-je me souvenir de tout cela demain! -Vous ne pourrez vous rappeler que de ce que vous devez éviter; la limpidité foncière n'est pas du domaine de la mémoire. Mais elle sera là dès que vous lui laisserez le champ.

86. LA VIE MONASTIQUE.

La vie monastique est le refuge naturel pour réaliser la conscience de l'unité. Aujourd'hui, la vie moderne que nous menons ne permet que difficilement le rassemblement de notre énergie. Nous sommes attirés de toutes les façons à l'extérieur, et bien que nous sachions que l'unité n'est ni à l'extérieur ni à l'intérieur, mais au-delà des localisations, la projection vers l'extérieur mobilise notre énergie dans des activités triviales et mondaines. Aussi est-il préférable de se tourner vers l'intérieur pour centrer notre énergie vers sa source, le Soi, la conscience non-conditionnée.

Arrive le moment fatidique où nous devons choisir: passer sur l'autre rive, ou rester ici. Rester, c'est vivre la limite en étant conscient que nous avons refusé de sauter le pas. Se jeter à l'eau, c'est trouver la vie éternelle, le sans-limite, l'immensurable. Nous n'avons pas le choix, en fait. Nous sommes bénis à ce stade. Pas de retour possible dans la vie mondaine. Simplement le cri de plus en plus intense de l'appel divin. Nous nous demandons si cet appel est celui de l'ego qui recherche l'illumination; mais non. C'est la loi qui s'accomplit. Le Fils devient le Père. Tout se fond en Un. Avec ce retrait des affaires du monde, nous sentons le besoin de silence, d'immobilité, de méditation. Tout est clair. Le mental et l'ego sont vus comme jamais auparavant. Leur fonction perturbante apparaît définie, et telle une tumeur qui est bien cloisonnée, on peut la retirer sans mettre la vie en péril.

C'est aussi le sentiment d'un grand voyage qui arrive à son terme. Un tour du monde qui se termine... Un peu de nostalgie. Nous sommes enfin réveillés. Les rêves sont évanouis. Ils furent des milliers. Nous avons couru après notre ombre pendant des siècles. Nous avons recherché à travers les objets et les êtres ce visage sans ride qui sourit à jamais, cette lumière sans ombre qui baigne la création et se cache derrière... Nous avons recherché, et nous avons compris que ce reflet sublime dans l'eau objectivée, est notre visage propre. Nous nous sommes arrêté, et nous avons pleuré. Que de méprises, que de souffrances aurions-nous évitées, si nous avions compris dans les temps reculés ce message d'amour et de félicité! L'Absolu est ici, sous nos yeux dessillés. Nous restons silencieux, assis à méditer. L'impression que mille ans ont duré l'espace d'une journée...

87. LA CLARTÉ SANS ÉGAL.

La non-dualité ne tolère pas le moindre élément de progrès, de comparaison, de technique. Les différentes techniques de yoga sont ainsi mises à l'index. Dans la maison de cristal, il n'y a pas de place pour l'ombre. Nous sommes allés dans le midi pour assister à l'inhumation d'un ami. A cette occasion, nous avions pensé rencontrer un Swami hindou. Mais, en fait, des réflexions d’amis proches de lui, évoquant « sa passion » pour les compétitions sportives, nous révélèrent que ledit swami était loin d'avoir dénoué tous les liens qui entravent l'illumination. Nous avons vu combien le désir du disciple d'avoir un guru peut lui occulter l'évidence de la fausseté, du pseudo-guru. Il est vrai, les sages authentiques ne font pas la promotion de stages lucratifs, dans la campagne française. Seuls les maîtres ès plan psychique peuvent trouver l'intention de faire de telles prestations techniques. Ce sont des fakirs, mais pas des êtres réalisés, lesquels se contentent de répondre à la question des âmes en recherche profonde.

La Voie Parfaite est sans fard. Elle n'attire pas les yeux. Elle ne scintille pas. Elle ne tinte pas à nos oreilles. Elle est transparente. On peut passer à côté et ne pas la voir. Nous sommes tellement habitués aux couleurs violentes que la limpidité nous est invisible. La liberté n'a pas besoin de publicité. Elle est. Qui ne la voit pas perd son âme, mais ne le saura pas.

La clarté de l'Etre infini n'aveugle pas celui qui voit. Ce qui peut luire, c'est la lumière des couches intermédiaires. Voilà pourquoi nous avons l'impression que les êtres réalisés ont quitté la surface du globe. Non, simplement, ceux-ci ne courent pas après les disciples. Ils vivent secrètement, hors des sentiers battus, loin des yeux curieux. Vous pourrez les croiser et pas les reconnaître; leur lumière intérieure n'apparaît pas au jour. On ne peut même pas dire qu'ils veillent sur l'humanité; ils sont en unité... La sagesse ne bougera pas d'un pouce pour sauver les humains de quelques catastrophes. Pour elle, il n'y aura jamais de catastrophe. Ce qui peut être cassé dans le monde n'est pas sacré; alors... La Voie Parfaite ne vient pas vous chercher. Un jour, c'est vous qui comprenez que vous avez de tout temps demeuré en son sein. Mais vous avez vécu comme un prisonnier, et ça, vous comprenez que c'est fini. A vous la liberté!