28. DEPENDANCE / INDEPENDANCE: la dualité majeure de l’ego.

La liberté suppose une rupture des chaînes. L’ego, confronté à la dualité relationnelle dépendance / indépendance, avec en arrière fond sa fragilité en face des autres vécus comme forts, recourt à de nombreux subterfuges afin de survivre sans écartèlement. Situons notre degré de dépendance et d’indépendance dans nos relations, tant familiales, qu’amicales, que professionnelles, sociales (couches), ou nationales... Sous cet angle tout est relation et qui dit relation dit dépendance / indépendance. Et observons la façon dont nous fuyons les relations d’un côté et la solitude de l’autre. Peut-être n’avons nous pas de déséquilibre dans les relations familiales, avec notre femme ou notre mari; ou avec nos enfants, nos propres parents...

Est-ce dans notre situation sociale que nous sommes trop liés ou au contraire trop distants?.. Tout cela doit être éclairci afin de regarder ces liens avec sérénité dans une conscience d’acceptation. La fragilité du moi en face des autres est le facteur causal de ces problèmes. Dépendant naturellement et menacé d’étouffement si les proches répondent à ces besoins de chaleur humaine, l’ego essaie de se frayer un chemin médian, entre la peur de l’abandon et celle de l’étouffement, génératrice d’angoisse, de panique. Cette situation est particulièrement dramatique chez l’adolescent. Il sort de l’enfance et donc de la dépendance pour aller vers l’autonomie, et si les mouvements intérieurs se font grinçants, l’angoisse, l’instabilité pointe leur dard. Cette équation n’est pas facile à résoudre dans cette période de mouvance. L’absence d’ego rime avec neutralisation de cette équation dépendance/ indépendance. La juste distance, ni trop près, ni trop loin, s’établit naturellement, sans attirance ni répulsion...

29 LE CONSCIENT, L’INCONSCIENT. Le différencié et l’indiffériencié.

Notre conscience temporelle, relative, ne voit dans l’indifférencié qu’inconscience insaisissable. Comme le consensus social nous pousse également à nous considérer en tant qu’être conscient, reléguant l’inconscient au rang de magasin de souvenir, voici fermée la porte de notre nature profonde, du Soi, de l’Absolu qui gît caché là. Il est donc de la plus grande importance de nous ouvrir à la dimension inconsciente de notre être, de ne plus nous considérer comme des êtres uniquement conscients. La vérité est que nous sommes en majorité inconscience, laquelle engendre une conscience relative. Si la conscience relative ne connaît plus sa source, elle souffre, et finit par retomber épuisée dans le berceau de l’inconscience, ne serait-ce que par le sommeil profond, ou par la dépression. Ces mots de subconscient et d'inconscient sont en fait pratiquement des synonymes du mot "coeur", tel qu'on l'évoque en disant "l'intelligence du coeur". L'éveil passe par le coeur.

Autrement dit, convaincre notre coeur, nous convaincre en profondeur de l'unité fondamentale, prend du temps. Ce coeur est lent à comprendre. Mais ce qu'il comprend, il l'applique à fond et notre vision du monde s'en trouve chamboulée. De quoi nourrissons-nous notre coeur, d'habitude? Trop souvent de fadaises, de conflits médiocres, d'espoirs déçus. Forcément, une telle vision engendre de la souffrance. Une réalisation intelligente imprégnera peu à peu notre inconscient et fera germer nos semailles. Quand la graine de non-dualité bourgeonnera, "mille soleils" se lèveront à l’horizon.

Le contrôle de nos pensées est donc important: Elles se réverbèrent dans notre for intérieur et conditionnent notre bonheur ou notre malheur. Tel est notre "karma" et point autre chose. Si nous pensons à longueur de journée ceci est mieux que cela, je préfère Tahiti à La Baule, Kim Bassinger à ma femme, comment voulez-vous que le soir venu, un instant de recueillement ne reste pas vain? Nous devons nous sentir engagés sur le chemin de la non-dualité constamment. Â chaque instant, nous créons notre manière d'appréhender le monde. Alors l'unité infusée rejaillira dehors avec splendeur. Nous serons noyés dans le cristal absolu, les yeux écarquillés de bonheur. La lucidité s'installera sans effort pour nous inspirer le juste faire, le juste penser, le juste aimer.

30 VOIR.

Le froid était arrivé, avec ses matins givrés et ses brumes fantomatiques. Les corbeaux croassaient dans les champs labourés. L'esprit semblait gelé comme l'air tout autour. Les idées ne venaient pas; il y avait juste le voir, et rien d'autre. Le voir est communion avec l'ensemble. On ne se met pas en marge du spectacle; on en fait partie. Dans cette unité du voyant et du vu est la paix. Voir ne se provoque pas; le danger de la séparation du voyant et du vu, avec son cortège de conflits, incite l'esprit à renoncer à la dualité. Croire à l’existence réelle du témoin, du sujet, crée l’objet et la dualité dans la perception. Voir apparaît alors sans effort. C'est un état naturel. C'est la fondation de notre être et de notre conscience, à laquelle nous surajoutons la pensée, le langage, la discrimination.

 tout moment, nous pouvons retourner à ce niveau basique de notre être. Voir est Absolu. C'est la source de notre énergie. Quand la course dans le monde a déchargé nos batteries, plongeons dans cette profondeur de nous-mêmes. Nous serons recréés. N'ayons pas peur de perdre nos repères habituels, car cette peur est le principal frein à l'ouverture en profondeur. Nous ne devons plus préjuger de tel ou tel fonctionnement. Flottons sur l'onde et l'énergie rechargera les canaux vitaux.. Pas de centrage dans une partie du corps, surtout dans la tête, lieu privilégié de la pensée, de l'ego. Descendons dans notre ventre, puis disparaissons, naturellement. Sans penser, où sommes-nous ? Nulle part. Mais beaucoup ont l'habitude de se situer derrière les yeux. Il faut que se soient vos tripes qui voient par vos yeux! Et non pas votre moi.

*

31 LA VIE EST UNITÉ.

L'hiver n'était pas encore arrivé, pourtant l'air était froid et vif, fouettant le visage. La matinée ensoleillée finissait de dissiper les brumes. Les oiseaux se réchauffaient, perchés sur des îles sableuses inaccessibles aux hommes. Dans leurs ébats, vous sentiez la vie, la même énergie-conscience qui soutient tout, nous fait digérer, parler, penser et voler les oiseaux. Alors, il n'y a plus "d'autre" séparé de nous ; la même chit-shakti fait tourner le monde, la même conscience agit chez les oiseaux, avec sa simplicité cristalline et sa qualité d'amour. Une conception particulière de votre intellect serait incapable de produire une telle expérience, vécue directement dans votre être dilaté. Cela ne vous donnait pas la possibilité de gouverner le vol des canards. Cette conscience laisse la vie suivre son cours; sans intention particulière. Le défaut d’innocence repousse l'unité du monde dans les rêves. La subtilité, l'intensité de la vigilance, une immobilité complète, non forcée mais fruit du respect passionné de l'environnement naturel, de la vie sous toutes ses formes, sont nécessaires à l'émergence de cette qualité de conscience non-duelle, à ce doute salutaire qui ravive les vieilles façons. Jamais le doute n'effleure les gens qui marchent sur les fleurs... On partage l’être, inconsciemment et non pas une conscience objective; on ne voit pas par les yeux des oiseaux. On est oiseau « de l’intérieur ».

32 Dieu est là...

Ce courant limpide au fond de nous a souvent du mal à émerger de nos préoccupations quotidiennes. Nous sommes baignés à chaque seconde par ce courant d'amour et de félicité inconsciemment. Mais ce ruisseau divin respecte notre vie, même si ce respect nous prive du sentiment extatique de le vivre. Le plus grossier voile le plus sublime. C'est ainsi. Le moindre petit nuage peut cacher le soleil, du moins quand on est sur terre (pour le soleil, rien ne change). Quand nous sommes dans la peine, rappelons-nous qu'au fond tout est parfaite béatitude, si nous laissons notre ciel intérieur s'épurer des nuages de la pensée. Dieu est déjà là, totalement. Nous n'avons qu'à Lui laisser un peu de place...

33. UNE VISION D'ENSEMBLE DE LA VIE.

La vision de l'unité du monde s'établit au départ en prenant conscience du mouvement de l'énergie cosmique universelle, lequel ne sied pas dans le mental de l’être humain, mais au contraire en-deçà de son mental dans les sphères inconscientes de l'activité automatique en lui, des mouvements instinctifs, mais aussi et surtout dans le domaine de l’indifférencié, là où toutes les ondes enregistrées se fondent dans les limbes de l’indéfini, là où se construit la conception du monde sous-tendant notre perception. Les animaux vivent l'unité mais ne peuvent pas en avoir conscience. Il faut le miroir "j'ai conscience que je pense", faculté humaine par excellence, soit présent. Quand l'homme observe et ne recouvre pas ce miroir par des pensées, il peut jouir de la perception de l'unité.

Donc au départ, la perception de ce niveau primaire en nous ouvre la porte de la perception du non-limité. Cette énergie que nous voyons alors chez les êtres vivants est la même partout. Cela donne le sentiment d'un corps immense fait de cellules disparates, comme des globules sanguins, circulants dans le même espace sans se toucher; mais un même corps, une même conscience englobant tout. Notre perception habituelle, focalisée sur l'intellect discriminant, ignore le plus souvent cette vision globale. Au contraire, elle accentue les distinctions entre les choses, entre les gens, et nous donne le sentiment de séparation nommé ego .

L'ego est cet agent intégrateur de tous les mécanismes de comparaison, de discrimination, d'analyse, de choix, facultés indispensables de l'intelligence, oui, mais qui doit se cantonner à son niveau et ne pas priver l'individu de la vision naturelle du non-différencié, du foncier, qui lui restitue son unité en lui-même et unité avec le monde. Notre culture nous fait nous identifier avec notre moi temporel, notre conscience de surface, relative, alors que notre être dort dans les limbes de la profondeur, étranger aux querelles de la dualité de l’existence.

Or, que ce passe-t-il maintenant dans le monde ? L'ego est devenu le roi. Les pays sont l'incarnation de cet ego-roi. Ils réagissent avec la même négation de l'harmonie universelle que le ferait un individu isolé. La guerre, la domination, la violence sont douces dans le monde animal à côté de ce que l'homme peut faire. Les lois de la nature, telle la dominance, par exemple, comme on le voit dans la lutte de deux mâles éléphants-de-mer pour gouverner le troupeau et féconder toutes les femelles, dont on sait les avantages génétiques, est reprise par l'homme pour en faire un holocauste. Quand l'un des mâles s'est déclaré vaincu, l'autre ne le terrasse plus; l'homme, pour sa part, n'hésitera pas à tuer le vaincu. Et au niveau d'un peuple, cela s’appellera génocide...

Le monde a pris cette tournure folle par la domination du principe ego. Et comme au niveau individuel, la vision impersonnelle amène à rejeter l'ego, source de la souffrance, de même, au niveau mondial, faudra-t-il se rendre compte de la perversion engendrée par ce même principe directeur. Cela dit, les lois de réaction levées par l'ego en produiront tôt ou tard l'annihilation. Ainsi fonctionne l'ensemble, l'unité restera la loi première. On peut dire que la démocratie représente un pas décisif vers la liberté des peuples, par rapport à une dictature. Mais l'avenir de l'humanité sera de retrouver le sens de l'énergie foncière qui la porte depuis toujours et lui inspirera l'ordre général et pacifique propice à l'épanouissement de tous et de chacun.

La clé, c'est que chacun doit comprendre d'abord à son niveau individuel, pour qu'ensuite l'ensemble de la société suive le mouvement naturel. Il n'y a donc pas de frustration de l'individu en face de la société; c'est l'individu lui-même qui construit l'édifice social, et non pas une fois, mais seconde après seconde; il reste le maillon inspirateur éternel. Rien, en effet ne sera écrit de cette loi-là. La Loi restera vivante par ce jaillissement constant en chaque individu. Jean-Jacques Rousseau n'a sans doute pas rêvé d'autre chose; mais il fallait l'accès à cette perception directe de l'énergie cosmique, de l'ordre de la Nature, une vie en l’Etre, pour que l'homme soit effectivement bon.

34 LA TEMPETE ET LA COLERE.

La tempête faisait rage depuis deux jours. La mer sautait par dessus la digue et atteignait les jardins des maisons en bordure. On pouvait à peine marcher sans tomber tant le vent soufflait fort. D'ailleurs, il n'eût pas été prudent de s'aventurer le long de la digue. Le spectacle grandiose donnait le frisson. Les tempêtes de la nature semblent laver le paysage de la présence humaine. Elles restituent le neuf, le frais. C'est une récréation au sens propre du terme. Marcher sur une plage un lendemain de tempête donne le sentiment du renouveau, d'un printemps; la lumière elle-même semble immaculée. L'air pur et frais nous redonne la vie. Parfois la colère, comme la tempête, redonne l'innocence du nouveau-né. Souvent aussi, la colère témoigne d'une distorsion entre le fond et la surface de l'esprit. Le fond ne se laissera jamais gouverner par la surface. Tôt ou tard, il explose si on contrecarre son mouvement.

Alors pourquoi ne pas écouter la profondeur de notre être et ainsi éviter toute distorsion? Notre bonheur dépend de notre accord avec notre intériorité. Comprendre les passions enfouies libère des pulsions. Certaines d'entr'elles représentent des manifestations instinctives déjà programmées avant notre naissance, et qui concernent la survivance de l'espèce, par exemple. Quand on les regarde de la sorte, elles ne s'imposent jamais, elles suggèrent que la situation se prête à telle ou telle acte spécifique. Mais il ne faut pas les occulter, car elles resurgiraient avec une puissance insurmontable, parfois déviées de leur finalité de départ. Vivre les manifestations de la nature sans s'y opposer, permet de percevoir subtilement les opportunités. L'énergie sous son aspect impersonnel se projette parfois pour connaître l'état vibratoire d'une personne ou d'un animal, par exemple.

Suivant la loi d'harmonie universelle, les rencontres s'effectuent naturellement, sans forcing. Elles n'apportent alors que satisfaction et bonheur. On peut percevoir chez quelqu'un la fausseté quand on est limpide soi-même, sans aucune intention, que l'on regarde simplement, ou encore identifier l’intention, même voilée. Cette perception est basée sur l’apparence, mais aussi, intuitivement, par ce niveau d'énergie qui n'a pas de frontière, on peut prendre conscience de couches plus profondes. Il faut rester innocent en cette matière. Toute intrusion de la volonté, par exemple de savoir, fausse la perception naturelle et sans effort. La vision de l'avenir peut parfois se manifester. L'avenir existe à l'état potentiel, mais rien n'est encore inéluctable dans l'instant présent.

35 L'EGO SE MEURT...

L'ego se meurt. Il se meurt quand tout bascule, qu’un sentiment d'abandon, de lâcher-prise monte de la profondeur, suite à la vision du fonctionnement de l'ego. Le constat d’une indicible fourberie congénitale du dictateur ego interpelle le sublime. Nous sentons alors monter le pur diamant de l’incréé, lequel rejette un fonctionnement egotique. La buddhi, cette fonction du mental indépendante de l'ego, observe ses faits et gestes, et tôt ou tard, constate son inexistence, impersonnellement. Cela se fait sans une intervention volontaire; on ne peut pas dire "je vais rejeter mon ego", car qui dirait cela ? L'ego ! Croyant par là atteindre l'absolu inconditionné.

L’ego est une interprétation erronée. Le dictateur prétend diriger la nouvelle constitution... Il doit mourir pour que la liberté soit ! Nous sommes ce dictateur. Alors ne nous leurrons pas sur le sens de la révolution. Nous serons fusillés en premier. Nous n'aurons pas de place dans le futur gouvernement. L'ego ne sera jamais à la tête de l'inconditionné; être inconditionné, c'est ne plus avoir de tête !

36. LE PLAISIR ET LA SOUFFRANCE.

Nous voulons le plaisir et refusons la souffrance. Tel est le noeud de la dualité. Le monde est plaisir et souffrance. Ils sont inséparables, comme l'ombre et la lumière. Nous poursuivons notre rêve d'un monde où le plaisir existerait sans la douleur, et sommes déstabilisés quand cette dernière s'acharne sur notre dos. Chaque peine contient un bonheur, et chaque bonheur contient sa peine. Telle est la réalité. Bonheur-souffrance. Souffrance-bonheur. Un jour, il faudra bien regarder cela en face. Nous ne serons jamais heureux dans la fuite. Quelque part, cette vérité est inscrite en nous. Quand j'ai découvert cette dualité inséparable, que je l'ai vue en face, l'ai acceptée comme inéluctable dans la manifestation, ce fut comme une extase de compréhension. J'étais devenu libre en acceptant la prison.

Nous ne souffrons jamais de ce-qui-est. Nous souffrons de notre refus de ce-qui-est. Voir cela, et la souffrance qui résulte de notre réaction, c'est dépasser cette réaction. Mais nous ne devons pas refuser notre réaction; cela ne mènerait à rien. Nous resterions dans l'arène. Il faut voir ce-qui-est. Dedans, dehors, le monde et notre affectivité. Quand tout cela est vu comme unité, c’est-à-dire accepté foncièrement, alors nous sommes libres. Nous n'avons pas à créer cette unité; elle préexiste à l'apparente dualité. Il nous faut voir la dualité en tant que dualité, l’ego comme également duel, le sujet inexistant.

Voir l’ego comme inexistant, révèle un pur sujet, lequel disparaît bientôt tout comme l’objet. Il ne reste alors que la perception sans personne qui regarde ni objet (littéralement « jeté devant »); autrement dit, l’objet se trouve recentré par la disparition du vecteur polarisant sujet objet. C'est tout. Je suis libre de ce que je connais. Qui refuse le malheur et cherche le bonheur? L’ego. Il s’impose comme chef, essayant de paraître différent de la dualité; de surplomber le mental, alors qu’il est dualité, qu’il coure dans l’arène, ballotté au gré des courants de peur et de désir. L’unité s’établit dans la constatation de l’inexistence de l’ego en tant qu’entité stable et libre...

* * *

37 FAIRE POUR RIEN...

Voici un des noeuds majeurs de l'union au Principe. Nous faisons tout pour quelque résultat. Nous trouvons absurde de faire sans intention. Cela nous est même impossible à imaginer. Nous faisons un acte en vue d'un résultat, sinon, pourquoi agir? Or voici, le Principe agit sans agir; sans aucune trace de volonté, ni but. Nous voici désarmés devant l'innocence foncière. Le jeu cosmique de déroule sans scénario. Il ne semble pas y avoir de règles préétablies. Sauf dans le cadre qui sous-tend la manifestation. Il y a bien les forces fondamentales de la physique universelle, qui tendent l'écran de l'espace-temps, mais il est clair qu’elles sont apparues par sélection spontanée, et non consciente. Des milliards d’univers ont peut-être avortés jusqu’à ce que la vingtaine de constantes universelles soient justement réglées ensemble. Dans l'expérience subjective de la conscience, tout ce passe comme si le foncier était uniquement impersonnel. Tant que nous restons accrochés à notre conscience personnelle, nous ne pouvons pas en effet accéder à des niveaux profonds. Par contre, dès que nous laissons fondre notre moi dans le sans borne, dans l’indéterminé, nous nous unissons ipso facto au cosmique. Et l'accès à cette impersonnalité nous donne une vision de la marche universelle qui nous semble alors la seule réelle. Ainsi, tant que nous courons après l'illumination comme un objectif, nous nous coupons à coup sûr de la réalisation. C'est au contraire par la compréhension du principe, en particulier dans son aspect non-intentionnel, innocent, que toute volonté en cette matière nous quitte et qu'alors nous réalisons l'absolu. C'est dire pourquoi l'ego est un tel obstacle à la réalisation; pour lui il n'y a que suite de choix, attraction, répulsion. La compréhension du Principe le transcende complètement. Pour le Principe, qu'y aurait-il à espérer encore?

* L'esprit reste vide et pourtant les lignes se remplissent. Elles sortent directement du Néant. Le corps est bien campé, stable et serein. Les doigts courent sur le clavier. Qu'est-ce qui pousse à écrire dans la stabilité, dans le plein de l'instant? Ça écrit, comme le coeur bat. C'est la Vie qui va. Sans but. *

38. C'EST NOUS QUI TENONS LES VANNES DE L'ILLUMINATION. N'est-ce pas étonnant de lire, "c'est nous qui tenons les vannes de l'illumination"? C'est pourtant la vérité que nous choisissons notre statut mental. Pendant un temps, nous avons rassemblé les éléments de compréhension de la Voie. Nous avons fait le tour de tout ce que nous pouvons en dire... Ce qui se résume à ceci: 1/ INDIFFÉRENCIATION.

2/ NOUS NE POUVONS QU'ABANDONNER LA DISTINCTION; abandonner le sujet prétendu, l’ego, et la dualité sujet objet. NOUS NE POUVONS PAS SAISIR L'INDIFFÉRENCIÉ.

3/ ALORS, NOUS RÉALISONS L'UNITÉ.

4/ NOUS SOMMES LIBRES DANS UN ESPACE-TEMPS INFINI, DANS UNE ATEMPORALITÉ DE L'INSTANT PRÉSENT.

5/ LA VIE IMPERSONNELLE ET SON ACTION SPONTANÉE COULE Â TRAVERS NOUS, NOUS LAISSANT INDIFFÉRENTS QUAND AU RÉSULTAT DE CE QUI SE FAIT. NOUS N'AVONS PLUS D'INTENTION PERSONNELLE, CAR LA VOLONTÉ DE L'EGO NOUS PRIVERAIT DE L'UNITÉ. NOUS AVONS LE SENTIMENT DE VIVRE LE JEU COSMIQUE.

Seule notre compréhension nous amène à la réalisation et infuse dans nos couches profondes cette vérité. C'est à nous d'ouvrir les vannes de l'illumination. Les résistances à l'ouverture coexistent avec une compassion pour notre faiblesse, telle une mère envers son enfant... Avec cette compassion naît une patiente infinie. Nous regardons le petit enfant en nous accepter de s'ouvrir au monde. Et même si cela prend du temps, nous avons l'éternité devant nous...

39. Neurophysiologie de l’éveil.

L’éveil pourrait correspondre à un changement de dominance hémisphérique. Nous savons que chaque hémisphère possède son propre centre de la volonté, l’hémisphère gauche chez le droitier traitant l’analyse, le langage, les mathématiques, et domine le droit, lequel s’occupe de l’espace, de la musique, de la globalité. L’éveil semble donner la prévalence aux qualités qui relève de l’hémisphère dit mineur: vision globale, synthétique, absence d’intention... Cela suggère un transfert de dominance, ou une disparition de la dominance. Cela dit, l’être ne dépend pas du cerveau humain, seule la conscience relative est conditionnée par la physiologie du système nerveux central. On retrouve sur le cortex cérébral des zones qui gouvernent le sens du soi et du non-soi. Une hémiplégie peut exclure la moitié du corps du soi: Alors le malade demande: « qui est couché dans le lit à côté de moi? » Intéressant, non? Evidemment, quand le neurologue parle du soi et du non-soi, il parle du moi et du non-moi, bien sûr...

40 ECLIPSE... DE L'HUMILITÉ.

« Voici maintenant plusieurs jours, presque semaines que je ne goûte pas le nectar du Divin... Dès que la vie m'emporte dans son tourbillon, au troisième tour je suis perdu. Ces éclipses de la conscience de l'Unité sont prévisibles, mais pas forcément évitables dans la vie que je mène. Le surmenage intellectuel, des préoccupations qui envahissent le champ de l'esprit, et la conscience s’obscurcit. J'ai beau réfléchir, retrouver le chemin de la non-dualité; je reste vide de la Présence. Vraiment l'ego reprend vite ses prérogatives. Il faut que j'appelle "au secours!" La finesse intellectuelle ne suffit pas à rouvrir la source incréée. Il faut que le coeur languisse du Suprême. S'Il n'entend que le jacassement de la réflexion, il ne bouge pas. Il attend que le coeur L'appelle. » Nous ne reconnaissons pas facilement notre impuissance. En face de Ce qui est libre, nous sommes impuissants. Nous ne pouvons rien forcer, rien provoquer, rien attraper. Et c'est le constat de cette impuissance qui fait que nous nous abandonnons. Et dans l'abandon, il y a Cela qui est libre du devenir... Libre de l'intention. Je n'ai plus qu'à pleurer devant la lutte de l'ego, toujours vive, vaincue un jour, reconstituée le lendemain. C'est le sens de l'humilité. Dieu ne sourit qu'aux humbles. « Tant que je courre à la recherche d'un moyen de retrouver la liberté, elle m'échappe. Eh bien sûr qu'elle m'échappe! Comment pourrait-il en être autrement? Ce ne serait pas la liberté si je pouvait la capturer, moi, le preux ego! » La porte de l'Infini n'est nulle part ailleurs. Le secret c'est l'humilité du coeur et de l'esprit. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa... Dieu ne te punit pas d'être fier, orgueilleux, prétentieux et sûr de toi; simplement, Il ne vient pas en ton coeur. Il aime le doux et le simple, l'absence d'artifice. « L'humilité m'a toujours semblé pauvre. Je l'ai fui autant que j'ai pu. Aujourd'hui, elle m'a rattrapé. Je ne pourrai pas regagner la douce demeure de mon Père si je suis orgueilleux. C'est sans aucun doute le plus grand écueil de voir renaître l'ego de ses cendres devant la gloire du Suprême, pour celui qui a vu Dieu; c'est moi qui ai vu Dieu! Evidemment que cela coupe du même coup l'expérience. Alors, celui qui ne sait pas pourquoi elle le fuit risque de se taper la tête contre les murs quelques temps. » L'ego ne peut pas faire semblant d'être humble; c'est le coeur qui juge. Il n'y a personne à l'extérieur pour le voir. Et si l'ego feint, il ne se passe rien! La porte reste désespérément fermée. Alors, au bout d'un temps certain, il renonce, il pleure; il s'abandonne, disparaît, et la porte s'ouvre en grand. L’éveil s’installe définitivement en constatant l’inexistence de l’ego, le mirage disparaît et ne peut se reconstruire. Condition sine qua non. D'une façon ou d'une autre, ce mouvement est incontournable. Que ce soit par la compréhension de la non-intention foncière, de la non-différenciation, de l'unité, si nous ne sommes pas faits humbles, point de salut! C'est le pourquoi de la flagellation qui a eu court dans les milieux religieux, chez quelques yogis également. L’humilité est la marque du non-ego.

41 LA CAVALIERE.

Cette patiente venait me voir pour un problème de luxation qu'elle s'était faite lors d'une chute de cheval. Pendant que je lui délivrais des soins, la conversation roula sur le contact qu'elle établissait avec le cheval. Elle connaissait bien cet animal depuis son enfance. C'est un animal très sensitif, me dit-elle, qui sent les moindres faiblesses de son cavalier, la peur en particulier. Lors de steeple-chases, le trac la paralysait et se transmettait au cheval. Sans vouloir gagner les compétitions, elle voulait faire corps avec le cheval, pour donner le meilleur d'elle-même et du pur-sang, et non pas transmettre la peur. Je lui parlais alors de la source en nous, ce berceau de notre énergie primale et sans limite; en deçà de l'image de nous-mêmes, à laquelle nous pouvons nous unir. _"Pour faire corps avec le cheval, vous devez retrouver en vous le niveau du foncier; nous n'avons pas besoin de le créer, il existe spontanément. Et vous communierez avec votre monture dès que vous serez capables de sentir la même vie onduler en vous comme en lui. Mais pour vous laisser couler dans le fond du gouffre, ou du moins, de ce qui nous semble un gouffre, nous devons faire confiance, ne pas avoir peur. La peur, telle la gargote sur le parvis d'une cathédrale, nous chasse de l’Eden. Quand nous surmontons cette peur, nous sommes mûrs pour goûter le nectar divin."

42 COMMENT FAIRE POUR ETRE HUMBLE?

L'ego "spirituel" recherche des moyens pour atteindre la libération. Cela n'a pas de fin. Dès que nous lui parlons d'humilité, aussitôt se presse-t-il de trouver comment être humble... La compréhension seule mène à la réelle humilité. Nous devons voir tous les stratagèmes que le mental emploie pour rechercher un résultat. Tant que nous pensons qu'il est possible d'atteindre l'illumination par la réflexion de notre intellect, nous devons pousser notre idée à fond. Si nous restons en-deçà de notre effort pour percer le secret, nous ne pourrons pas voir les limites du mental. Ce n'est que quand nous avons poussé notre intellect dans ses derniers retranchements qu'il se produit l'arrêt nécessaire à la montée depuis la profondeur de notre psyché, de la conscience non-conditionnée. Cet arrêt nous confronte à notre impuissance absolue en face de la conscience illimitée. La constatation ainsi faite nous rend humble. Hier, nous avons parlé de l'humilité, cette porte incontournable vers la béatitude. Je voudrais y revenir tant est importante la compréhension qui en découle. L'humilité qui ouvre les portes du paradis ne peut pas être provoquée; elle découle de la compréhension de notre absence, de notre inexistence en face de l’Absolu. Là, nous devenons vraiment humbles. Et cette humilité n'est pas le simple opposé d'orgueil, mais un état d'innocence, de fraîcheur, d'amour. Ce ne peut être un moyen de parvenir à l'éveil. Toute recherche de moyen est triviale, egotique, s’agissant de « la chose » essentielle. D'ailleurs une démarche d'humilité provoquée de donnerait aucun effet. Quand notre coeur pleure son égoïsme, il devient vraiment humble. Telle est sa beauté; et la Voie vers le Divin. Quand nous avons entrevu, ne serait-ce qu'une seule seconde, la Sublime Transparence Foncière, nous ne pouvons plus vivre sans elle! Un tel trésor vaut plus que tout l'or du monde réuni. Tout amour humain n'est qu'un pâle reflet de la compassion que nous ressentons quand nous sommes en communion avec le Foncier. Aussi, quand le coeur se remplit de béatitude, nous ne pouvons plus être en lutte contre le monde qui est nôtre désormais. Mais nous continuons de jouer pour l'amour de l'humanité.

43 TOUT EST DIEU.

Nous voici au bout du chemin... Nous avons parcouru des milliers de kilomètres, à l'intérieur de nous-mêmes. La source est connue. Unité. Mais la vie de tous les jours n'est pas éclairée comme on pourrait le penser. Nous devons poursuivre encore et encore :"tout est Dieu, tout est Dieu!" Pour que toutes les couches en nous s'illuminent de cette suprême vérité. Tel un chapelet infiniment répété, nous devons infuser cette unité dans les moindres recoins de notre esprit. Tout est Dieu, tout est Dieu, tout est Dieu..." N'est-ce pas là la conclusion de notre démarche? Maintenant réjouissons-nous! C'est arrivé: TOUT EST DIEU. Encore et encore répétons-nous: tout est Dieu; même si nous avons compris cette vérité sublime, des parties de notre être ne sont pas encore illuminées de ce fait. La compréhension d'aujourd'hui doit infuser dans le passé, remonter jusqu'à notre naissance et même avant pour crier le message: tout est Dieu! C'est le sens de la descente aux enfers du Christ; c'est la bonne nouvelle. Tous doivent l'entendre. Beaucoup sont encore occupés dans des barricades. "Tout est Dieu!" Ne luttez plus, il n'y a pas d'ennemi! Jetez vos armes! Toutes les poches de résistances doivent écouter la nouvelle: tout est Dieu.

44 UNE AUTRE RENCONTRE.

Elle venait d'être quitté par l'homme "qu'elle a dans la peau". Tout s'arrêtait pour elle. La vie n'avait plus de raison de continuer. Son visage trahissait des sentiments variés, fugaces, opposés même; quelques mimiques d'enfants semblaient appeler une aide paternelle de ma part. _"C'est une opportunité de découvrir ce qui est libre en vous;" lui dis-je. Vous avez eu, je crois un échec cuisant sur le plan sentimental. Essayez de ne pas reproduire le même schéma dans l'avenir. Pour ce faire, vous devez voir votre demande intérieure de sécurité, d'amour, et voir que cette demande risque de masquer la réalité de votre être, votre vision des gens que vous rencontrez. Les gens ne veulent pas donner; ils veulent recevoir. Si vous avez l'air de vouloir prendre, ils vont fuir. Si vous avez l'air d'être comblée, d’avoir beaucoup à donner, alors les autres vont venir spontanément rechercher votre présence et votre affection. Mais il ne s'agit pas seulement d'avoir l'air; il faut réaliser complètement ce don de soi. Prendre n'a jamais rendu quelqu'un heureux; donner, oui." _"Mais je me sens vide! Comment puis-je donner quoique ce soit si je me sens vide? J'ai une peur affreuse de la solitude; je ne peux même pas rester chez moi seule. Je sors dehors, je traîne..." _"Rassemblez votre énergie. C'est le moment de saisir le bonheur sans condition. Si vous êtes capable de regarder votre image de femme abandonnée, et de ne rien faire intérieurement, aucun mouvement de fuite; alors vous découvrirez en une seconde cette conscience qui est libre de toute image. Votre énergie se trouve recentrée, vous ne vous sentez alors plus vide mais au contraire remplie d'une énergie nouvelle et stable." _"Je ne comprends rien à ces paroles! Je souffre et je veux en sortir. je n'ai même pas la force de trouver un nouvel appartement. Même mon travail s'en ressent et je crains d'être licenciée." _"Pourquoi lutter tant pour vous en sortir? Je vous dis que la solution à tous ces problèmes est déjà là en vous! Vous ne trouverez pas la solution miracle à l’extérieur. Regardez en face ce-qui-est. Et ce-qui-est promeut une vision claire, impersonnelle et une action globale, étrangère au moi qui lutte." Sans la vigilance, la vision dénuée d’ego de ce-qui-est, le dérapage commence et nous dépasse de manière incontrôlable. Restons au coeur du présent, avec la certitude intelligente, la compréhension que nous ne pouvons faire autrement. Notre énergie, notre corps vibre de façon à nous confirmer la juste position de notre être.

45. La simplicité de l’enfant est dans l’axe du Principe.

L'enfant est naturellement vertical. Sa simplicité, sa spontanéité, son innocence en témoignent. L'enfant est tout près de la source jaillissante de la Vie. Cette source ne nous est accessible que lorsque nous acceptons de traverser les couches psychiques de notre enfance. « Redevenez semblables à de petits enfants... » Alors nous pouvons retrouver un fonctionnement plus naturel, des sentiments frais; il ne faut pas craindre de devenir infantile; si nous voulons rester adultes, d'après ce que nous croyons, nous ne pourrons pas accéder à cette limpidité foncière. Cette ouverture au foncier ne va pas nous rendre enfantin, au contraire nous aurons l'impression d'être des centenaires nourris à la sève éternelle. Il faut donc lâcher prise, là encore. Lever tous les blocages dont nous nous sommes bardés comme d'une armure. La peur nous empêche de laisser tomber notre garde. Nous croyons à l'unité: tout est moi, et nous faisons comme si nous avions peur de nous-mêmes! Il n'y a pas d'ennemi! Nous refusons l’unité aux différents niveaux, physique, affectif, et mental, pour survivre individuellement. Cette prise de conscience est capitale pour dépasser ces refus, ces défenses, et préparer le chemin de l'éternité. Ces refus sont normaux dans l'optique individuelle; mais nous sommes dans l'optique suprême; bas la garde! Et si nous constatons que nous sommes incapables de baisser la garde, alors acceptons notre statut jusqu'à ce que la compréhension devienne suffisante pour que notre for intérieur diminue les résistances. Nous ne devons pas essayer de lutter pour enlever volontairement ces résistances. La profondeur doit renoncer elle-même. Aucun forcing en cette matière ne donnera de résultats.

46 LE COURANT DIVIN AU FOND DE NOTRE ENFANCE.

Rappelez-vous quand vous étiez enfant; vous n'aviez pas conscience de vous-même. Il n'y avait pas d'interface, de soi, mais rien que la vie, océan des événements, et une joie de vivre inextinguible. Nous avons tous la nostalgie de cette prim'enfance et de sa plénitude. A juste titre. Car nous vivions alors l'unité de la vie jaillissante et spontanée. Voyez-vous, cette source n'est pas tarie. La même source jaillissant jadis nous maintient en vie, et nous l’utilisons aujourd’hui dans toutes nos activités. Nous pouvons la retrouver aussi innocemment qu'aux premiers instants de notre naissance. Seulement, nous devons accepter de laisser tomber une certaine image de nous-mêmes, forgée au fil du temps; à laquelle nous nous sommes peu à peu habitués, pour nous rassurer. Si quelque chose intervient pour la changer, nous sommes perdus. Ce visage sans forme d'avant notre naissance est caché par celui d'aujourd'hui. A nous de jeter ce masque. Tout se joue là. Les pleutres tourneront les talons. Au commencement, nous voyons la Vie dans sa limpidité primale. Puis voyons apparaître cette fameuse interface de notre regard sur nous-mêmes; à travers celui de nos proches, au départ, de nos parents, professeurs, camarades... Nous nous identifions naturellement à nos limites, d'autant que le regard des autres ne nous laisse pas d'alternative, enfin, nous plongeons dans l’oubli de l’infini. Nous avions l'impression d'être des empereurs; image bientôt refusée par les autres. Petit à petit, nous avons rabattu nos prétentions. Non seulement nous perdons l'unité foncière, mais en plus nous atterrissons, si l'on peut dire, dans un cadre forcé qui ressemble vite à une prison. Nous nous accoutumerons aussi à cette prison; après tout, ça protège, la prison. Ca protège contre les autres... Et ainsi, de jalons en jalons, nous tissons autour de nous un cocon que rien de pourra ébranler si ce n'est... la souffrance! La souffrance et l'amour. Au cours du temps, ces sensations de la toute première enfance, cette plénitude, se sont fissurés peu à peu, à mesure de l’émergence du moi. Cette conscience toute neuve est toujours à notre disposition grâce à la suspension du moi, temporaire ou définitive. Nous avons créer le moi, par une fausse interprétation de notre psychisme; nous pouvons le congédier et ce faisant, sentir immédiatement le flux si frais de la vie, regoûter la plénitude de l'enfance, avec cette fois-ci, les capacités de l'adulte. Nous élevons tous les jours des enfants, voyons leur conscience se cristalliser dans la séparation; la spontanéité se ternir, la joie simple se compliquer; bref, la structure lourde de l'ego poindre. Que faire? Vivre cette unité avec les enfants. Ils ne s'y trompent pas d'ailleurs. Ils vous regardent avec l'air surpris de voir une grande personne manifestant cette vie claire qu'ils commençaient à oublier, les yeux brillant de partager avec vous la Vie retrouvée.

47 LA MORT D'UN PèRE.

Elle avait perdu son père depuis trois ans, sans pouvoir faire son deuil. Toutes les nuits, ou presque, elle rêvait de lui. Après des années de cauchemars, elle faisait maintenant des rêves plutôt heureux. La souffrance cachée dans son coeur disparaissait aux yeux des autres. Elle avait pris le parti de faire bonne figure. D'ailleurs, elle avait réellement bonne figure. Comme elle m'interrogeait sur l'origine de sa colopathie, je lui répondais qu'il était possible que ce trouble reflétât symboliquement la disparition de son père, et bien sûr, que le traitement serait plus radical si nous prenions en compte cet aspect. C'est parfois délicat de mettre le doigt sur ce genre de somatisation qui sont finalement de bons exutoires; mais je sentais possible chez cette jeune femme la libre expression qui mettrait fin à son trouble. Par expression je n'entends pas seulement verbalisation, mais plutôt dérépression de noeuds bloquant la circulation harmonieuse de l'énergie. Je lui montrais cette possibilité que nous avons de laisser de côté notre image, celle des autres pour rejoindre la source de notre psyché qui est indifférenciée. "Si nous restons lié à la culpabilité de dépasser l'image du disparu, nous ne pouvons aller plus en profondeur." Nous devons accepter notre propre disparition de notre paysage intérieur pour goûter à l'incréé, à l’union susceptible de panser la souffrance de la séparation. La difficulté réside là. Nous sommes tellement conditionnés à être ceci ou cela, que n'être rien est non seulement incompréhensible, mais redoutable. Elle pleurait doucement. "C'est la vie dans son unité qui coule au fond de nous; pour elle la mort n'existe pas, croyez-vous que nous devrions vivre sur le passé? Acceptez cette souffrance, ce refus de la perte de votre père". "je pense que personne ne peut accepter la mort d'un être cher," me dit-elle. "Si nous restons au niveau de nos images respectives, c'est vrai. Mais si nous sommes capables de descendre comme je l'ai évoqué, au fond de notre coeur, à la source indifférenciée de la vie, alors qui est séparé de qui? Il n'y a que la Totalité; la Plénitude, l'Extase de l'Unité. Je comprends combien il est difficile de nous sentir libéré; nous nous sentons injustes aux yeux de nos proches, ou de ceux, imaginaires, du disparu. Les morts nous souffleraient à l'oreille s'ils pouvaient: "Soyez heureux! La Vie est Joie." Nous n'avons pas à nous sentir coupables de nous libérer de la sorte; car l’accès à la source foncière est payé de notre propre mort intérieure. Aussi n'y a-t-il aucun sentiment d'abandon de l'être cher, mais au contraire de communion. Nous pouvons de la sorte nous unir à lui définitivement, et à la Vie dans son ensemble d’un même mouvement, loin de la souffrance de séparation. Mais rappelons-nous que cette mort à soi-même est la mort de toute intention en nous. C'est un point capital. La source se répand sans aucune finalité. Elle est, c'est suffisant. Et si nous gardons le désir de nous unir à la Vie pour retrouver le disparu, alors point d'union possible; juste la souffrance supplémentaire de rester à la porte du temple. La mort n'a pas d'intention non plus. Elle nous emporte sans le vouloir. Elle n'est que la face cachée de la vie. Voyons combien la volonté personnelle est morbide en face de la mort. La fuite légitime est toujours possible. Mais nous resterons assujettis à la Camarde. Osons la regarder en face, jusqu'à ce qu'elle nous révèle son vrai visage: celui de la vie qui n'a pas de fin. Le décès de quelqu'un nous rend souvent moins superficiels. Nous nous mettons à prendre conscience de la richesse de la vie... Mais nous devons éviter de nous jeter à corps perdu dans le mouvement comme pour nous saouler. Si nous restons avec le fait lui-même, sans rien lui surimposer, alors nous découvrons la vraie profondeur impersonnelle. La non-intention qui se manifeste par notre abandon nous situe directement au coeur de l'Infini. "Je sens que quelque chose s'est débloqué" dit-elle en me quittant. La mort est un trésor à qui sait l'écouter...