Sumikiri, Jean-Daniel Cauhépé

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Gtao : Jean-daniel Cauhépé, pouvez-vous nous exposer les raisons qui vous ont conduit à créer l’école de Sumikiri® ?

J.D C. : En 1984, j’ai découvert le terme de sumikiri®, qui signifie " action de tailler, d'enlever les angles d'un carré ", dans un livre de Kisshomaru Ueshiba paru cette année-là, The spirit of Aïkido. La portée symbolique de ce terme, renvoyant aux figures du carré, du cercle et du triangle, souvent utilisé par Maître Ueshiba, a confirmé, au-delà de mon expérience de pratiquant, ma compréhension de la démarche spirituelle du fondateur, qui, de l’aïki-jujutsu en passant par l’aïkibudo, a abouti à l’aïkido, pour concevoir l’aïkido de sumikiri®, puis, sur ses vieux jours, le shobu aïki (1) .

Cette dimension m’avait été explicitée - sans entrer dans le détail - par André Nocquet sur le plan conceptuel, puis par le docteur Warcollier sous son aspect culturel et ésotérique. Sur le plan physique, l’illustration m’en avait été donnée magistralement par maître Koichi Tohei quelques années plus tôt.

En 1985, un certain nombre de pratiquants qui, avec les ans, avaient développé une vision de la vie différente, m’ont sollicité pour créer un groupe d’étude, prolongeant le cercle d’étude des ceintures noires que j’avais fondé en 1963. De là est née l’école de Sumikiri®. Il m’a fallu quarante ans de pratique, et vingt ans d’étude et de réflexion, en marge de toute structure officielle, pour synthétiser l’enseignement dispensé dans notre école.

Gtao : Cette école, la vie s’était chargée douloureusement de vous y conduire ?

J.D. C. : C’est exact. A la même époque, j’ai été victime d’un très grave accident de voiture qui m’a laissé brisé physiquement (fractures cervicales, hémiplégie). Incapable d’utiliser la force musculaire, j’ai dû développer " autre chose ". Les séquelles et douleurs de l’accident m’ont fait gagner trente ans de pratique !

Gtao : Qu’est-ce qui distingue le concept de l’école de sumikiri® de ceux des autres écoles d’aïkido ?

J.D. C. : Ce qui distingue notre école, c’est la conception du terme budo (courage et volonté) compris dans un sens transcendantal. Car mon cheminement est celui d’un militaire qui a combattu cinq ans et vécu la réalité de la guerre. Ceci m’a permis de comprendre l’évolution d’un maître d’armes nippon en véritable Maître, enseignant la réconciliation des hommes entre eux, en eux, et avec la nature. Ce cheminement de la violence à la compassion est naturel, au contraire de la tendance actuelle des pratiquants qui s’imaginent, parce qu’ils font de l’aïkido martial, qu’ils vont refaire le chemin parcouru par Morihei Ueshiba ! Quelle non-sens et quelle perte de temps ! Ueshiba lui-même disait ceci : " j’ai crée l’aïkido pour que les autres n’aient pas à subir un entraînement aussi fou. Pourquoi persistez-vous à pratiquer d’une manière aussi insensée ?" Lorsque vous avez lu ceci, ou lorsque vous lisez les lettres que le fondateur a écrites à André Nocquet(2), ou lorsque vous avez entendu Maître Murashige déclarer " Ce qui est le plus important dans l’aïkido, c’est l esprit  ", vous ne pouvez qu’être modeste, et délaisser la vulgarité de la self-défense primaire.

Dans notre enseignement, nous développons la notion de non-agir. La projection active d’un attaquant n’existe pas, puisque c’est lui qui s’effondre, n’ayant rencontré au terme de son attaque que…le vide ! Ce n’est pas le pratiquant de sumikiri® qui dispense les énergies, ce sont ses partenaires !

Gtao : Concrètement, quelle pratique propose l’école de Sumikiri® ?

J.D. C. : Nous proposons une gestuelle issue des techniques propres au génie japonais, que Morihei Ueshiba a extraites de leur gangue guerrière, et de la gestuelle fondamentale du ba gua zhang, enseignée d’ailleurs par Ueshiba sous le vocable de " main-épée ". Cette gestuelle a été affinée et systématisée par le génie de Koichi Tohei.

Plus concrètement, notre pratique est sous-tendue par ce que nous appelons les Exigences (voir tableau), les principes du ki, l’utilisation du pouvoir énergisant des phonèmes, et de la musique. Elle procure une attitude psychocorporelle par les exercices que nous appelons callisthéniques (forme et beauté), donnant naissance aux innombrables " mouvements-univers " de l’Art.

Lorsqu’il y a coordination juste, elle fait éclore le " Boryoku no Hembo ", soit la Métamorphose de la violence en soi… Cette attitude juste, tout pratiquant de l’école de sumikiri® est encouragé à la travailler, sur le tatami comme dans la vie.

Gtao : Avez-vous conservé dans votre école le travail des armes ?

J.D. C. : Bien sûr, nous utilisons le ken, le jo, le tanto. A propos du ken, ma rencontre avec Harimoto Murashige m’a beaucoup influencé. Cela m’a permis de saisir la portée profonde de l’aïki-ken, celui de la coupe symbolique des huit démons en soi, comme exprimé dans la légende japonaise du kami Suzano tranchant le serpent octuple.

Gtao : C’est un exercice difficile, mais je souhaiterais, pour finir, vous demander une phrase qui résume votre enseignement.

J.D. C. : l’Art de Sumikiri® a pour but d’éveiller le Maître intérieur en nous, loin du bruit, des agitations et des vanités du monde…

Propose recueillis par D. Radisson

 

(1) lit. " Budo créateur de sagesse et de discernement dans la vie "

(2) " Passer des dan n’est pas capital, ce qui est essentiel, c’est passer des dan d’amour ". Lettre de M. Ueshiba à André Nocquet

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source : http://www.sumikiri.com