Bruno Solt " En lisant un livre"

23 Juin 89, dans le sud de la France, entre Charybde et Scylla. Place de la Comédie, l’après-midi touchait à sa fin et j’ignorais que j’avais rendez-vous avec cette sensation vertigineuse et merveilleuse que certains appellent l’éveil. A cette époque je n’étais pas spécialement préoccupé par des idées d’ordre spirituelles plus soucieux de répondre aux exigences quotidiennes avec le lot de problèmes à gérer d’instant en instant. Après une chaude journée, vécue à cent à l’heure, après maintes turpitudes conjugales et financières, je sentais un désarroi de plus en plus présent cogner au cœur de ma poitrine. A ceci s’ajoutait une peur métaphysique comme si, après un long voyage, on arrivait à une impasse face à un vide vertigineux et infranchissable. A ce moment, je n’avais qu’une envie : retrouver des amis, quelqu’un à qui parler de ce mal-être envahissant. Malgré la foule avide des plaisirs solaires de l’été, la solitude et l’angoisse allèrent crescendo. L’environnement devenait insupportable, il était devenu impératif que je bouge, car je sentais peu à peu un ennui inexorable me parcourir l’échine. Le temps était loin où je lisais avec avidité Krishnamurti ou Hermann Hesse.

La vie avait repris ses droits et j’avais tout oublié cette adolescence idéaliste, contestataire et mystique. Mais en ce jour de désarroi où le sol semblait s’effacer sous les pieds, je choisis tout de même d’entrer dans une librairie afin de trouver un point de repère, une bouée de sauvetage, un semblant de réponse car ces jours-là, il n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de trouver sa nature profonde et tenter de s’accorder aux soupirs tumultueux du monde.

Mais face à tous ces livres, lequel choisir ? Il y avait bien la biographie d’un ancien cameraman de télévision devenu un sage parmi les sages... Juste à côté, il y avait un autre ouvrage écrit par ce sage et intitulé : "La voie du cœur" par Arnaud Desjardins. Spontanément, sans le feuilleter, je le saisis et l’achetais. Je pris le train, toujours en quête d’un réconfort moral et avec pour unique bagage : ce livre.

Très vite, à la lecture, chaque phrase devint un onguent et je sentis mon cœur revenir au repos. Une heure passa et je n’avais toujours pas relâché l’attention une seconde. Arrivé à destination, je m’assis dans le hall de la gare en attendant que l’on vienne me chercher.

Soudain, un vide intérieur se produisit et un souffle paisible et léger m’envahit qui semblait s’étendre alentour. Il régnait un ordre parfait, chaque chose était à sa place rien à ajouter ou à enlever. Il n’y avait plus de séparation entre ce que j’étais, l’horloge au-dessus de la tête, les mains qui tenaient le livre et les gens dont je croisais le regard. Il n’y avait rien ! Juste une paix indescriptible, une communion absolue avec l’environnement et un calme ineffable. Mais très vite cet état se dissipa, pour réapparaître quelques jours plus tard.

Entre temps cette expérience m’avait redonné l’espoir de ne jamais désespérer et de ne rien rechercher car tout est là dans la saveur de l’instant où s’accordent le silence et l’immobilité.



Temporalité d'introduction : 11 mai 2010 22:38:26